Pasolini, clair-obscur
- Présentation Une révolution mélancolique une révolution mélancolique
- Autre papier Un homme dans la ville
- Autre papier Arrêts sur images
- Entretien Mécanique du désir
- Autre papier « Nous sommes tous en danger »
- Autre papier Belle mort
- Autre papier Pour Pasolini pirate
- Autre papier Milano centrale
- Autre papier Constat de Pasolini sur les périls du temps
- Autre papier L’Italie en procès
- Bibliographie Bibliographie sélective
Soyons succincts : les années 60-70 – et qui plus est en Italie – n’entretiennent plus guère de rapport avec notre situation actuelle ou plutôt, l’inhumation de certaines utopies (sic) propres à cette décennie avait commencé dès les années 80, en Italie comme en France d’ailleurs. En simplifiant, il s’est agi d’annihiler toute pensée de transformation collective au profit d’un individualisme forcené posant l’argent spéculatif comme seule valeur de référence : ce fut l’irruption enchantée des yuppies et autres golden boys dont la devise aurait pu être « tirer son épingle du jeu quelles que soient les circonstances », les utopistes (sic) passant alors pour de pauvres niais, de ridicules attardés. Il n’était déjà plus temps de dénoncer la « société du spectacle », comme on ne cesse aujourd’hui de rabâcher Debord, lequel dans Commentaires sur la société du spectacle (de 1988) constate, sans appel, la constitution du « spectaculaire intégré, qui désormais tend à s’imposer mondialement ». En Italie, en 1978, année même de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigate Rosse, Silvio Berlusconi fonde le holding Fininvest, incluant le groupe Mediaset qui contrôle d’emblée trois chaînes de télévision, proposant les programmes que l’on sait : c’est dire…
Cela Pier Paolo Pasolini ne l’aura pas vu, mort à l’Hydrobase d’Ostie en novembre 1975, le visage broyé à coups de planches. Mais sa vision était « désespérée » depuis assez longtemps : vision corsaire parce que vision solitaire – et souvent paradoxale. Par exemple, il ne soutiendra pas, dans un premier temps et comme certains l’attendaient, les révoltes estudiantines de 1968 (pas davantage que la légalisation de l’avortement) : encore porté par un marxisme théorique, il n’y discerne qu’opposition bourgeoise alors que, selon lui, les authentiques fils du peuple sont du côté des forces de l’ordre : singulière fidélité au PCI d’une certaine façon, lequel Parti, dans son exquise rhétorique, l’avait exclu dès 1949 pour « dégénérescence bourgeoise », litote d’époque visant son homosexualité. Mais cette « vision désespérée », la détestation de la marchandisation bourgeoise en langage pasolinien, est écoutée, mieux : sollicitée. Articles, interviews, prises de positions qui génèrent au moins un procès par année : comme cela paraît loin, comme cet impact, même délétère, semble un paletot presqu’idéal : celui d’un auteur polymorphe tissé d’imagination, de raison, de sensibilité et de violence porté sur la place publique. Car pour nous (?), aujourd’hui, la question se pose exactement là : comment la faculté de scandale peut-elle être entendue, par-delà la connivence des initiés, au sens où Pasolini la définissait brièvement lors de sa dernière interview à la télévision française (!) en octobre 1975 : « Je pense que scandaliser est un droit et qu’être scandalisé est un plaisir » ?…
Olivier Apert
> Dernier livre publié :
Gauguin, le dandy sauvage (Infolio). JbrJ...