Pasolini, clair-obscur
- Présentation Une révolution mélancolique une révolution mélancolique
- Autre papier Un homme dans la ville
- Autre papier Arrêts sur images
- Entretien Mécanique du désir
- Autre papier « Nous sommes tous en danger »
- Autre papier Belle mort
- Autre papier Pour Pasolini pirate
- Autre papier Milano centrale
- Autre papier Constat de Pasolini sur les périls du temps
- Autre papier L’Italie en procès
- Bibliographie Bibliographie sélective
Vous formez un couple très juste » tel fut le jugement de ce jeune homme de trottoir avec lequel, d’emblée, nous parlâmes d’Umberto Saba. C’était à Milan dans le quartier du Duomo. Il faisait froid. Nous montions et descendions sans cesse le caniveau pour nous réchauffer. Quelques jours plus tard et cette fois dans la chaleur de la nuit, sur le balcon d’une chambre du Michelangelo, M. portant ses seuls escarpins, se montra à la ville à cet instant traversée par des camions militaires. C’était le temps des Brigades rouges. Plus tard, j’écrirai Jack-to-Jack :
« je ne peux pas passer toute la nuit avec vous »
dit-il encore aux 2 étrangers je ne le peux pas mais s’amuser 1 heure 2 heures ça je le peux. Oui « s’amuser », c’est le mot que 7 nuit-là contre le fleuve il employa.
Cela me donne je crois le droit de répondre à votre question : qu’en est-il de « l’obscénité pasolinienne ».
Il n’est pas étonnant de mettre en avant Théorème qui repose à la fois sur la spiritualité et son contraire, l’inconnu et l’envie maladive des corps. C’est dire que l’obscénité, ici, est mentale. Et Pasolini sait parfaitement montrer le non-dit, exprimer une douleur venant du ventre et d’une imperfection de la pensée. Ici, dans cette famille aisée, la lutte des classes s’est retirée et, avec elle, la question de savoir « que faire », sinon se mettre nu et attendre.
Delon aurait-il pu interpréter le rôle de Terence Stamp ? Certainement pas. Visconti fait du comédien français, dans Rocco et ses frères, un martyr de la vie christique. Elle l’entraînera vers la croix (le ring de boxe) où les homosexuels viennent expier leur « faute ». Chez Pasolini, nulle expiation. Le sexe s’offre sous la braguette d’un jean. Un point c’est tout.
L’obscénité exposée par un homme (Pasolini poète) vaut-elle pour un autre, moi par exemple ? Probablement. Le lecteur sent qu’en lisant Jack-to-Jack il est en une sorte de terrain connu, la lumière du Nord rattrapant l’ocre italien. Avec l’immense gare qui fait lien, celle dont la seule évocation du nom m’exalte : Milano Centrale.
Si j’ai choisi d’évoquer Théorème, ce n’est pas pour faire l’ange. Je crois que Pasolini y montre qu’il faut avoir souffert avant que l’Histoire ne prenne son sens. C’est que la révolte est encore en retard. Celle-là, elle prend ses aises et passe ses journées au buffet révolutionnaire. Mais aucun drapeau rouge n’apparaît. Et c’est le drame de la pensée et (j’ose ce mot), de l’âme même, que de se voir obligé de se taire et d’aller tout droit au sexe.
Jouve peut servir d’une manière exemplaire ces propos. Il implore l’écriture de le conduire, mieux, de l’accompagner là où il se rend, seul. Dans sa main un bristol l’informe qu’il est possible de demander dans cet endroit spécial « Les feuilles de roses ». Ainsi est-ce dans l’anonymat des grandes villes que l’obscénité se tient et assure la présence du pervers, de l’étrange. Ensuite, le personnage jouvien se retrouve seul....