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A la fenêtre Petit circuit

octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147 | par Marie Cosnay

Dans le train Paris-Hendaye, Aurélia Arcocha s’installe sur le siège en bout de wagon-restaurant, face à la cabine des contrôleurs. On se voit peu à Bayonne, c’est le 15 septembre et par hasard nous voyageons ensemble.
À Bordeaux III, dit Aurélia, on résiste à la marchandisation de l’université. On y résiste en ne rentrant pas dans la NUB, fusion de Bordeaux I, Bordeaux Segalen et Bordeaux IV, fusion qui vise à gagner la 208e place du classement de Shanghaï.
Nous, université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 pour les anciens, on reste loin de la NUB, énorme machine de 45 000 étudiants et 5 600 personnels.

À côté de nous, 15 septembre, dans le train, aux alentours de Dax, un jeune homme se fait contrôler. On le conduit près du poste des contrôleurs. On lui prend son passeport.
On vérifie votre identité, c’est tout. On passe un coup de téléphone et on vous le rend. Allez vous asseoir là-bas.
Non, dit le jeune homme, vous avez mon passeport, j’attends.
Le jeune contrôleur se lève : on vous a dit d’aller vous asseoir là-bas.

À Athènes le 17 septembre en fin de matinée, des milliers de fonctionnaires manifestent. Les élèves voient leurs cours réduits à la portion congrue, des enseignants ont été, pendant l’été, mis en disponibilité ou licenciés. Ça ne suffira jamais donc à la Troïka et on entend dire que l’Aube dorée est dans les sondages au plus haut.

Dans mon collège, où les professeurs ne sont pas démissionnés mais soupçonnés de faire toujours le moins et le moins bien possible, ce 17 septembre, l’événement c’est la sortie de GTA 5. Guillaume, à qui je demande un peu d’attention quand j’explique les droits des tribuns de la plèbe me répond : « ça me cacaille ». Il a parlé ainsi, explique-t-il quand il constate mon étonnement, pour éviter de dire un gros mot.

Ce 17 septembre, plus tôt le matin, sur France Culture, on nous rappelait les propos du maire de Nice. Il était du côté des victimes, disait-il, la victime étant le bijoutier volé et non le cambrioleur tué. Une histoire de définition, de valeur des biens et des personnes. Ou plutôt, une histoire d’absence ou d’oubli de complément (d’objet indirect, dirait Guillaume) : être victime, certes. Mais de quoi ? Dans un cas, victime d’agression et de vol. Dans l’autre, de meurtre.

On s’emplâtrait, dans le même temps, tournant autour des mêmes dégueulasseries, à l’UMP. Je vous appelle, avait dit Fillon, à voter, du FN ou des socialistes, pour les moins sectaires. Une phrase et le tour est joué : sous-entendus nombreux, attaque des uns et tentative (pauvre sorcier sans talent) d’avaler les autres en les dédiabolisant. De l’étymologie aux usages on pouvait s’en donner à cœur joie. Sectaires furent, en un temps, les protestants empêchés de culte. Et passionnés défenseurs de leur doctrine, ce qui laisse rêveur. On fait un bond dans les siècles et sectaire est l’intolérant ou le petit d’esprit. Mais on s’en fiche pas mal : les premiers sens d’un mot n’ont pas plus de droits que les autres, qui s’inventent selon les usages, les bouches et les objectifs. Ici, sectaire n’existe pas. Moins non plus. La seule chose qui compte, c’est votons. Et que les deux compléments (d’objet, Guillaume !), PS et FN, soient à égalité. Une phrase et le tour est joué.

Ces signifiants qui se déchaînent fabriquent un petit circuit. Que dans ce petit circuit « se trouvent pris toute une famille, toute une coterie, tout un camp, toute une nation ou la moitié du globe, forme circulaire d’une parole qui est juste à la limite du sens et du non-sens », c’est Lacan qui le dit, en février 1955.* On voit très bien comment ça marche dans les familles – où tel énoncé ne peut s’entendre que si on tient compte de tout un discours précédent, antérieur, de toute une construction, malade la plupart du temps. Malade, la construction politique, terriblement malade, névrosée, et elle nous « cacaille ».

Le 15 septembre, dans le train Paris-Hendaye, le jeune contrôleur fait du zèle. Il a rejoint le jeune homme dans la voiture 5, après qu’il a vérifié son identité au téléphone.
Vous êtes raciste, lui dit le jeune homme contrôlé qui a décidé qu’il n’ira pas jusqu’à Hendaye, trop dangereux.
Je ne suis pas raciste, répond le contrôleur.
Vous me contrôlez parce que je suis marocain et vous me parlez mal. Vous êtes raciste : ça s’appelle comme ça. Pourtant vous avez du boulot, vous avez un toit, vous avez quelques trucs, vous avez de la chance. N’oubliez pas.
Le jeune contrôleur se trouble. Il répète qu’il n’est pas raciste et m’interroge du regard.
Oh moi, je suis témoin, c’est tout.

Marie Cosnay

* Séminaire 2, Le Seuil.

Petit circuit Par Marie Cosnay
Le Matricule des Anges n°147 , octobre 2013.
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