Tout existe sauf l’oubli. » Cette citation de Borges précède le début de Tête haute. La pièce commence, une bougie raconte : « il était une dernière fois un roi et sa reine », ils attendent un enfant. « Quand le prince vient au monde c’est une princesse dont une main est fermée comme un poing impossible à ouvrir – et de l’autre le pouce était absent. Ni le roi ni la reine ne voulant de cette enfant, dans la nuit de colère noire qui suivit neuf cavaliers masqués enlevèrent la princesse pour l’abandonner dans la lande sauvage, et depuis le Royaume de Nerville est à feu et à sang. »
Un vieux dictionnaire, Babel, raconte à son tour, à la deuxième scène. Babel a appris à l’Enfant abandonné tous les mots de toutes les langues. On retrouve alors le plaisir contagieux de Joël Jouanneau de jouer avec le langage, comme si chaque mot possédait un pouvoir magique. L’Enfant connaît donc tous les mots, sauf deux. Le premier, éclipser, va lui offrir son prénom Eklipse. Un prénom à garder secret car, prononcé à voix haute, il peut obscurcir le soleil et faire arrêter la Terre de tourner. Le second mot qu’Eklipse doit connaître est peur. Ce mot-là va reconvoquer le passé oublié. « Le mot Peur s’est jeté sur moi en hurlant : “Maintenant que tu sais qui je suis, tu vas devoir courir” » raconte Eklipse. Pour lui faire face, elle s’aide de mots bien sûr, comme par exemple « Inventer la suite ». Dans sa folle course contre la peur, elle rencontre un faune qui lui donne pour mission de retourner à Nerville et d’arrêter le manège à chiffres qui s’est emballé. Avec ce conseil : « La tête, jamais tu ne dois la baisser, car si tu la baisses un jour tu ne pourras plus jamais la relever. Il faut savoir désobéir, gamine, surtout si c’est plus qu’interdit. » Alors tête haute, Eklipse part pour Nerville. Elle y retrouvera son père, vieux roi déchu. Le temps, arrêté depuis cette nuit de colère et d’oubli, pourra reprendre son cours, et le poing fermé d’Eklipse deviendra une main qui s’ouvre.
Joël Jouanneau nous plonge dans un endroit-frontière, une sortie de l’enfance peut-être, il met en scène un rituel initiatique qui redonne aux mots tous leurs pouvoirs : poétique, magique, guérisseur, musical, onirique… pour une enfance tête haute et en désobéissance.
L. Cazaux
Tête haute
de Joël Jouanneau
Actes Sud-Papiers, 72 pages, 12,80 €
Théâtre Tête haute
novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°148
, novembre 2013.