En une seule phrase, terriblement simple, Sylvain Trudel possède l’art de tacler ses bienheureux lecteurs et de les laisser ventre à terre. Ainsi, celle-ci, piquée – pas au hasard – à la page 122 de La Mer de la tranquillité : « Tout seul dans le noir, on se sent moins seul, parce qu’on ne voit pas qu’il n’y a personne d’autre. » Une nuit, un gamin se barricade dans sa chambre, il s’enfouit sous ses draps, et se répète : « Tout seul dans le noir, on se sent moins seul… » Ce gamin pourrait bien être Sylvain Trudel quand il cède à l’écriture, se laisse habiter par ses narrateurs, consent à donner vie à des âmes innocentes, tourmentées, disparues quelque part dans les limbes de la mémoire… ou de l’imagination.
Sylvain Trudel ressuscite aujourd’hui certaines de ses histoires. Il les épluche, les nettoie, les bidouille, leur fait le coup de la réincarnation, comme obligé de leur donner une nouvelle syntaxe, un nouveau souffle. L’écrivain s’en explique ici d’une manière plaisamment cocasse et par « courriel » de son lointain Québec. Il réécrit comme on refait sa vie, avec amour, avec espoir, un désir de forcené. Avec aussi une exigence parfois douloureuse, presque une obsession. Ainsi, une histoire ne finirait donc jamais, serait une chose vivante, un éternel recommencement qui fermement rappellerait à l’ordre son auteur…
Dans l’univers Trudel, les hommes sont perdus d’avance, l’enfance bafouée, l’innocence radiée. Le désespoir – une sorte de folle incompréhension de la destinée – est là, et bien là, mais la tendresse encore plus présente qui jaillit toujours sans crier gare : « Les enfants, on ne les fait pas, mais on les commet, comme des erreurs irréparables, des erreurs de jeunesse, en plus, les pires. C’est pourquoi il faut les aimer beaucoup. »
C’est pourquoi il faut lire et aussi beaucoup aimer son roman Du mercure sous la langue, sombrer avec son tout jeune narrateur sous une pluie de « poësie », d’effervescence, de rage, et hurler avec lui « fuck ! » à la mort. Et sans crainte, il faudra alors succomber à une langue qui remonterait à la nuit des temps, pure, vierge, qui ne cesse de maudire tout ce que l’Homme a détruit, oublié.
Sylvain Trudel fustige Dieu et ses sbires, les crétins et les sans-cœur. Armé de sa seule solitude, il s’en va défier l’ennemie de toujours, la camarde. « Et puis un jour, des années plus tard, j’ai tout compris : le malheur de l’homme est d’être à la fois la galère et le galérien. » écrit-il dans « Poussière rouge », seul texte écrit récemment et qui clôt ce recueil de tempêtes.
La cinquantaine venue, le gamin Trudel se ferait-il vieux sage ? Aurait-il dompté sa fièvre ? Serait-il blasé, fatigué, las de toutes ses luttes ? Évidemment, non. L’écrivain, juché sur son instabilité, entre écrire et ne pas écrire, parvient peut-être ainsi à toucher du doigt sa grande passion, la littérature. Bienvenue dans l’univers météorite de Sylvain Trudel, écrivain libre comme une étoile...
Entretiens « Quand je n’écris pas, je suis normal »
Sylvain Trudel publie peu. Jamais content, il pousse même le vice (ou la perfection) à retravailler ses textes déjà parus, comme ceux de La Mer de la tranquillité. Ses histoires sont pleines à craquer de gosses aux genoux cagneux et aux yeux grands ouverts sur le monde. Causerie outre-atlantique, entre gravité et facétie.