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Domaine étranger L’autre Rome

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Thierry Cecille

En 1980, Goliarda Sapienza fait un séjour en prison pour un vol dérisoire : elle y découvre d’autres femmes, désespérément vivantes, et se retrouve elle-même.

Université de Rebibbia

L’Art de la joie fut, en 2005, une des révélations des éditions Viviane Hamy (voir Lmda N°68). Ce superbe portrait d’une femme dans le siècle connut la consécration en Italie seulement après ce succès français. Goliarda Sapienza, quant à elle, était morte en 1996. Les éditions Le Tripode ont décidé de poursuivre cette découverte et, en quelque sorte, de lui rendre une justice posthume en éditant l’intégralité de ses œuvres (ce volume nous offre, en guise de postface, une dizaine de pages biographiques, contenant documents et photographies). En 1980, Sapienza, moralement affaiblie par l’écriture de L’Art de la joie – elle y consacra presque dix ans – et les refus répétés des éditeurs, vole quelques bijoux dans l’appartement d’une amie. Acte de provocation ou de désespoir ? Instant de folie ? Elle se retrouve dans la prison pour femmes de Rebibbia, à Rome – et celle-ci sera pour elle (souvenons-nous que Primo Levi avait employé la même métaphore frappante à propos de son expérience d’Auschwitz) son «  université ».
Nous ne saurons rien des motivations de cet acte qui l’a conduite en prison, car elle se concentre, durant ces deux cents pages, sur les premières semaines (la chronologie est imprécise, on repère çà et là des ellipses) de cet emprisonnement. Seul compte le bouleversement dû à la découverte de cet univers, de ce qu’elle doit affronter, et de ces femmes que dans un premier temps elle croit si différentes, mais qui se révéleront, rapidement, ses semblables, chacune à sa manière. C’est grâce à une écriture à la fois méticuleuse et imagée, souvent surprenante, qu’elle parvient à rendre compte de cette expérience, composant en outre, avec générosité, une émouvante galerie de portraits. D’emblée, elle est projetée dans ce monde autre – et nous y projette avec elle : les carabinieri lui rappellent les Allemands qui autrefois l’arrêtèrent, une gardienne la fouille « avec des gestes vacillants d’oiseau affamé », elle se sent comme un enfant prise au piège dans des « corridors souterrains d’une perfection glacée ». Les premières heures, les premiers jours – avant qu’elle ne soit véritablement installée dans ce qui sera sa cellule – sont vécus dans une sorte de brouillard, au cœur d’un « silence sonore  » ou d’un vacarme comme guerrier. Il faut donc absolument, pense-t-elle alors, « bloquer l’imagination ». Mais déjà certaines femmes lui parlent, subrepticement, quelques-unes lui sourient – quand d’autres la regardent avec une menace dans les yeux troubles (de haine ou de drogue). Peu à peu, alors qu’elle prend conscience de la mort sociale inéluctable que représente ce séjour en prison, elle y trouve, paradoxalement, une sorte d’énergie vitale. Quand elle doit partager quelques mètres carrés avec deux co-détenues, le premier contact est effrayant : l’une, éléphantesque, se masturbe bruyamment durant la nuit, quasiment sous son nez, l’autre, junkie, semble ne pas la voir, ne pas même se rendre compte de sa présence. Mais elle les apprivoisera – ou l’inverse – et recueillera leurs confidences, leur désespoir et leurs désirs.
Cependant, même en prison, les différences de classe subsistent, et séparent : on lui fera comprendre qu’il est nécessaire qu’elle change de cellule. Il nous faut saluer la traduction de Nathalie Castagné, qui parvient à rendre les nuances des divers dialectes ou de l’argot carcéral, signes distinctifs et, dans ce monde, frontières parfois infranchissables. Goliarda Sapienza se rapproche donc des «  intellectuelles  » et des « politiques » qui, elles, parviennent à s’entraider, continuent de réfléchir et de se révolter. La cellule de Suzie Wong, Chinoise condamnée pour « trafic international de drogue », est une sorte de salon, où s’échangent les théories et les recettes de cuisine, les jeux de mots et les échafaudages idéologiques. Rien d’étonnant alors si Goliarda est saisie, de nouveau, du désir de prendre encore, même en ce lieu, « du papier et un stylo  » – pour écrire ces pages.

Thierry Cecille

L’Université de Rebibbia
de Goliarda Sapienza
Traduit de l’italien par Nathalie Castagné
Le Tripode, 235 pages, 19

L’autre Rome Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
LMDA papier n°148
6,50 
LMDA PDF n°148
4,00