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Égarés, oubliés Le bourgeois renégat

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Éric Dussert

Avocat devenu libraire, Aurèle Patorni a milité toute sa vie avec les anarchistes, les pacifistes et les néo-malthusiens.

Descendant d’une famille d’avocats de la Cour royale de Paris – depuis Louis-Philippe –, Aurèle Patorni a éclairé des rouages sociaux un mécanisme célèbre. Trente ans avant Pierre Bourdieu, il a en effet démontré simplement et clairement le processus de « reproduction sociale », et en particulier celle de la classe dont il est issu : la bourgeoisie d’avant 1940. Dans ses mémoires de 1948 – un petit livre rédigé pendant la débâcle, Le Déclin de l’élite, apportait un contredit à toutes les théories fumeuses de l’armée française et des élites confites –, il écrivait ceci pour définir cette classe obstinément hypocrite et égoïste, socialement aveugle : «  Cette courtoisie dans les propos, ce respect simulé de l’opinion d’autrui, cette tolérance dans la discussion, ont donné à la bourgeoisie l’avantage de composer un amalgame homogène malgré les divergences des caractères.  » C’est « cette tonalité, si caractéristique en sa neutralité même, que les bourgeois dénomment “le bon ton”. » Aurèle Patorni se qualifiait naturellement de « bourgeois renégat ».
« Héritier » bon teint lui-même, il a vu comment une « famille » qui se respecte s’ingénie à « placer » ses rejetons – fussent-ils ineptes –, a entendu comment l’armée a amené avec patience au conflit de 1914 pour permettre le renouvellement des cadres de la Grande Muette. De plus, il est avocat au barreau de Paris au sortir d’une scolarité chaotique (il est passé entre les mains des Maristes, des professeurs du lycée Buffon), il aurait pu mener carrière, arrondir son héritage et faire fortune tranquillement. En réalité, il n’aura que peu plaidé. Une indépendance acquise – son père décédé, sa mère finit par divorcer de son beau-père militaire – l’autorise à suivre sa propre route : il se défait de sa robe, publie des poèmes dans de petites revues et suit un début de carrière artistique sur les planches pour assouvir un goût pour l’art lyrique. Témoignent les chansons pour enfants et la multitude de partitions qu’il écrira avec sa femme, la claveciniste et concertiste Régina Casadesus, avec laquelle il aura un fils, le futur comédien Raphaël Patorni.
Peut-être apparenté à Jean Lorrain, Aurèle Patorni opte pour une librairie du quartier des Champs-Élysées qu’il occupe sitôt l’armistice signé. Sa clientèle très bourgeoise le désole… Tout à son attrait pour la « nouveauté », elle reste sourde à d’autres sollicitations que celles des bouquins patriotards, des historiens tendancieux et des romanciers soucieux de complaire. Pacifiste, Patorni devient par militantisme chroniqueur, journaliste, conférencier et poursuit en outre une activité d’écrivain et de poète. Même ses poèmes, ceux d’Échappements libres par exemple, témoignent de sa préoccupation pour les questions sociales et l’irruption de la vitesse et des ondes dans la vie quotidienne. Ce sont les « Soliloque des moteurs » ou « des fils télégraphiques », « Publicité »… « Alors, quand la Machine eut dominé la terre,/ Quand le moteur fut roi, ce fut l’Âge d’Acier. » Et tout en collaborant à L’Insurgé, à Le Huron ou à L’En-Dehors, il milite au sein de la Ligue des Réfractaires à toutes les guerres. Entre 1919 et 1938 le pacifisme est alors d’une criante actualité. Loin de se ménager, Aurèle Patorni se trouve également des affinités avec le mouvement néo-malthusien qui s’exprime dans La Grande Réforme d’Humbert. Pour ce combat, il effectue des tournées de conférences sur des sujets comme « La morale sexuelle rationnelle contre les morales religieuse et bourgeoise » et collabore à des organes, si l’on peut dire, destinés à libérer la sexualité, à développer la sensualité tels que la Revue mensuelle d’Education sexuelle – il y donne le 1er avril 1938 « Les voluptés de Mr Meknès » au cœur d’un sommaire aussi éducatif que destiné à l’émoustillage érotique. Évidemment, il est surveillé par la police. En 1936, alors qu’il contribue à la Société Internationale Antifasciste de Louis Lecoin, il est même inquiété par la justice pour un article sur la limitation des naissances. C’est sans effet : il poursuivra après guerre ses collaborations au Ce qu’il faut dire (CQFD) de Louis Louvet ou à Défense de l’homme de Lecoin.
Proche de l’écrivain Fernand Kolney, le beau-frère de Laurent Tailhade, et de l’anarchiste naturien Henry Zisly, Aurèle Patorni développe une œuvre littéraire marquée par ses axes militants. Ainsi lit-on en 1932 Le Rire dans le cimetière et deux ans plus tard, Les Fécondations criminelles, ou encore La Grande Retape qui, en 1928 avait tant plu à la presse qui se félicitait en ces termes : « Le zèle de M. Aurèle Patorni à nous venger de la caserne et de l’armée est bien méritoire ». Surtout, il développe, à l’instar d’Henri Pollès ou de Léon Bopp, une manière littéraire très personnelle. Celle-ci lui permet très tôt de construire Mes contemporains dans mon herbier (1922), un drôle d’essai de taxinomie humaine où se retrouvent épinglés Rostand, les Guitry, Abel Hermant, Gabriel Fauré, Debussy, Poincaré, Gustave Hervé, Léon Daudet, etc., mais encore la faune des salons, des théâtres, de l’Académie française, etc. Là, comme un sociologue sauvage, il dissèque le corps social avec la précision d’un chirurgien et la hargne aveugle d’un guerrier. D’une plume savoureuse, comme il moquait deux ans plutôt Maurice Barrès dans Le Carnet de Simplice, il brosse l’inoubliable portrait des Propulseurs, des Femmes ou des Neutres, lesquels Neutres se divisent en « Idiots proprement dits », « Atrophiés », « Timorés de l’esprit », « Vaincus de la vie » et « Snobs ».
On comprend vite pourquoi la bourgeoisie se méfie autant de ses enfants perdus. Celui-ci ne cessera de la dénoncer qu’en janvier 1956, à la suite d’un problème cérébral. Aurèle Patorni est enterré au Père-Lachaise. Contre sa volonté dit-on (il souhaitait l’incinération). La bourgeoisie se serait-elle vengée ?

Éric Dussert

Le bourgeois renégat Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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