Faut-il dire hélas ? Car Henry Darger (1892-1973), considéré aujourd’hui comme un des plus grands artistes naïfs du XXe siècle, ne nous parle pas de son travail de plasticien dans L’Histoire de ma vie. Cependant, ce qui n’est sous nos yeux qu’un choix parmi les 2000 pages du manuscrit en dit assez sur ses phobies et fantasmes, quelquefois morbides, pour que nous puissions nous projeter dans ses dessins vigoureusement colorés.
La démarche autobiographique est sélective. Le contemporain, les deuils, tout cela est secondaire. A contrario, des événements prennent une importance symbolique, un tour cyclique, tels les incendies, tempêtes de neige et canicules. Presqu’orphelin (il est né à Chicago), on l’envoie dans un « asile de fous pour enfants », puis une ferme d’État, avant de devenir portier et homme à tout faire d’hôpital. Il est à la fois aimé par les sœurs supérieures, ou humilié. Il ne cache alors rien de son tempérament « coléreux ».
C’était un homme falot, à demi infirme et vagabond de rue, qui recyclait les cartons et les magazines pour y concevoir son œuvre, écrite et picturale. Dans ses productions colorées enfantines, dont ce livre nous fournit quelques doubles pages, les incendies et les petites filles pullulent, reflets peut-être de sa sœur perdue, de son désir de les sauver des menaces et des flammes qui pèsent sur elles. À moins que leur semi-nudité cache des désirs plus troubles. « J’aurais voulu rester toujours enfant », ainsi expose-t-il son complexe de Peter Pan.
La langue est assez pauvre certes, mais le document a quelque chose de poignant, non sans donner au lecteur une furieuse envie d’en savoir plus sur une œuvre littéraire dactylographiée de près de 15 000 pages que Darger illustra de toiles, collages et dessins, pour lui seul.
Thierry Guinhut
L’histoire de ma vie,
de Henry Darger
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel
Aux Forges de Vulcain, 144 pages, 19 €
Domaine étranger L' Histoire de ma vie
juillet 2014 | Le Matricule des Anges n°155
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°155
, juillet 2014.