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Domaine étranger Krach existentiel

mars 2015 | Le Matricule des Anges n°161 | par Sophie Deltin

Miroir tragi-comique d’une époque désenchantée, le nouveau roman de Daniel Kehlmann interroge les déboires d’une fratrie en prise avec l’imposture.

Le roman s’ouvre par un après-midi de 1984, où l’on voit Arthur Friedland emmener ses trois fils au spectacle d’un hypnotiseur. Sceptique et volontiers railleur, Arthur en vient finalement, une fois interpellé par le « grand Lindemann », à lâcher prise, avouant son sentiment d’échec en tant qu’écrivain – « qu’aucun éditeur ne voulait publier » – ainsi que le peu d’attachement qui le lie à ses fils (hormis à un seul) et à sa vie de famille (« le foyer, c’est la mort »). Quelques heures plus tard, il disparaît brutalement, après avoir pris son passeport et vidé le compte bancaire familial. Les enfants ne le reverront qu’à l’âge adulte. La seule nouvelle qu’ils auront de lui se fera à travers la parution de son roman à succès dont la teneur nihiliste est telle qu’il suscitera une vague de suicides en Allemagne.
Auteur de l’excellent Arpenteurs du monde (Actes Sud, 2007), l’Allemand Daniel Kehlmann réaffirme ici son intérêt prononcé pour l’hypnose, ses capacités à révéler aux protagonistes leurs insatisfactions, leurs angoisses et leurs désirs plus ou moins refoulés – à commencer par ceux du père qui fuyant ses obligations et tout compromis, quitte femme et enfants. Le roman familial ainsi placé sous les mauvais auspices de cet abandon initial opère ensuite un saut dans le temps puisque l’on se retrouve en 2008, juste avant que n’éclate la crise financière, les fils Friedland traversant chacun une crise individuelle. Martin, fils d’un premier mariage, qui a le plus souvent vécu seul avec sa mère et a toujours éprouvé des difficultés à « aller dans le monde », est devenu un prêtre dépourvu de foi, obèse et obsédé par le jeu fétichiste du Rubik’s Cube que son père lui a un jour offert. Ses demi-frères – des jumeaux inséparables et longtemps « indiscernables » – mènent dorénavant une vie à l’écart l’une de l’autre, à l’abri – c’est du moins ce qu’ils croient – des secrets et du destin de l’autre. Eric, un banquier d’affaires véreux, a fait le choix d’une existence tissée de mensonges et de tromperies ; sa faillite étant sur le point d’être démasquée, il ne tient que sous l’emprise de psychotropes, brassant des pensées décousues, trouées d’absences et d’hallucinations. Iwan, peintre convaincu de son manque de talent, est un faussaire, il réussit à percer dans le milieu de l’art en signant ses toiles du nom d’un peintre obscur. Habilement construit à l’image de ce cube multicolore dont on peut faire tourner les facettes, le roman nous raconte les mêmes événements, les mêmes scènes, en glissant successivement d’un point de vue à l’autre, et brosse ainsi le portrait psychologique de chacun des trois frères, dont les existences placées respectivement sous le signe de la religion, de l’argent et de l’art, sont toutes marquées par la fraude, l’usurpation et le manque d’intégrité. Comme si, selon ce que suggère Kehlmann, l’être moderne – « une entité ouverte, un chaos sans limite, ni forme fixe » – n’avait plus d’autre choix que de devoir « jouer un jeu » : « La vérité, c’est bien beau, dit Iwan à Eric. Mais parfois elle ne nous est d’aucun secours. Demande-toi toujours ce qu’on attend de toi ». Tel serait le credo de ces trois perdants finalement assez pathétiques qui s’épuisent à camoufler leurs manque(ment)s et leurs mensonges à l’intérieur de leur vie, et n’en posent pas moins chacun à leur manière la question qui taraude le roman : « qu’est-ce que cela implique d’être médiocre ? (…) Comment le supporter, pourquoi continuer ? »
Méditation ironique et alerte sur le libre-arbitre de l’homme, Daniel Kehlmann, grand maître de la manipulation romanesque, multiplie les excursions hors d’une rationalité vacillante, jusqu’à ménager une part belle au «  “Fatum”. Le F majuscule [qui donne son titre original en allemand] ». Celui-là même qui fait que « nous pouvons vite nous retrouver avec un destin qui ne nous était pas destiné. Un destin aléatoire. En un clin d’œil. (…) »


Sophie Deltin

Les Friedland
Daniel Kehlmann
Traduit de l’allemand par Juliette Aubert
Actes Sud, 304 pages, 22

Krach existentiel Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°161 , mars 2015.
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