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Domaine étranger Description d’un (ultime) combat

mars 2015 | Le Matricule des Anges n°161 | par Sophie Deltin

Arraché aux champs de bataille de la nuit, le dernier opus du Nobel de littérature 2002 donne le jour à un précipité de notes hallucinées et radicales.

L' Ultime Auberge

Imre Kertész se lève toujours à l’aube. Une aube au goût de petite victoire que ce « voyageur de nuit » en sursis remporte sur les débris d’un repos déchiqueté par l’insomnie et les cauchemars. Alors seulement il peut écrire, à l’écoute de ce « silence pour ainsi dire cosmique qui sépare l’obscurité et la lumière » et dont la densité infuse la prose de son dernier livre, recueil éclaté de réflexions politiques, intimes et littéraires qui donnent matière à ce singulier « roman » que l’auteur tente dans un geste artistique quasi forcené d’extirper des tréfonds de l’abattement et de la dépression : « L’Ultime auberge » c’est-à-dire un « journal de mort » censé venir clôturer la trilogie entamée avec le Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas (1995) puis poursuivie dans Liquidation (2004).
« Le pressentiment de la fin » telle est en effet la « basse continue de ces jours » dont l’écrivain né à Budapest en 1929 sait qu’ils lui sont comptés. Au soir d’une existence marquée par la déportation à l’âge de 15 ans dans les camps d’Auschwitz et de Buchenwald, puis par l’oppression communiste, le « spectre » Kertész ne se déprend pas d’une « angoisse ancestrale et incurable » ainsi que de la « honte » d’exister. Dans ces pages où le ton varie au gré de l’humeur – de sa « négativité » – l’écrivain n’a pas asséché la flamme de sa colère contre la Hongrie, son pays natal qui respire « le mensonge » et « la haine », et à l’intérieur duquel de longues années durant il a dû créer son exil, sa langue et son écriture. Ce pays qui l’a si longtemps tenu à l’écart, qu’il a quitté un temps pour vivre enfin « en paix » à Berlin, et dont il observe, écœuré, les tentatives de récupération depuis qu’il a reçu la consécration du Nobel. Ironisant lui-même sur « la marque Kertész », l’écrivain revient sur son mode de vie bouleversé par ce nouveau « rôle d’écrivain à succès » qui lui dérobe son temps, sa vitalité ainsi que « son espace mental (…)[s]a seule et véritable patrie ». Non sans un sentiment amer de dépossession, voire de cynisme, il avoue sa lassitude d’être devenu « une institution » dans l’avènement de la « culture d’Auschwitz » dont il est le premier à affirmer l’universelle et impérieuse signification : « Un grand consensus est en train de se construire [sur l’Holocauste] et il paraît que j’y joue un rôle important, moi ou plutôt mon prix Nobel (…) j’ai du mal à me suivre moi-même, je reste en arrière et je me dis, ou plutôt je me rappelle, comme c’était bien autrefois, quand j’étais écrivain. » Face à la recrudescence du racisme et de l’antisémitisme en Europe, l’écrivain, très inquiet, pose les diagnostics les plus sombres (« L’Europe périra bientôt à cause de son libéralisme puéril et suicidaire »), quitte à ne plus voir dans « l’islam » qu’un « langage de haine envers les autres races et religions ». Plus largement, le regard désabusé qu’il porte sur l’espèce humaine résonne souvent d’une intransigeance abrupte, irréductible (« je ne veux pas de solution, je ne veux pas combler la fosse commune qui bée entre le monde et moi… »). C’est bien à « la catastrophe » représentée selon lui par « l’effondrement de la culture européenne » que son œuvre se confronte sans relâche, ainsi qu’à son rapport à la judéité qui en découle : « (…) je ne me dis pas moi-même juif – eu égard à ma culture et à mes convictions (…). Mais je peux dire que je suis l’écrivain d’une forme anachronique de juif, du galut, le juif assimilé ; je suis le porteur et le peintre de cette forme d’existence, le chroniqueur de sa liquidation, le messager de sa nécessaire disparition. »
Impitoyable pamphlet contre la faillite meurtrière des hommes et de Dieu, le recueil émeut aussi par l’évocation sans fard des moments d’hébétude qui viennent surprendre ce grand esprit en proie aux symptômes de « déchéance » et de « décréativité ». La vieillesse et ses « humiliations », la maladie de Parkinson qui l’entrave, la mort à venir s’insinue déjà, tels ce « manque d’empathie » envers les autres ou cette tristesse profonde « qui le conduit, comme une mère qui prend un enfant par la main ». Éternel insoumis, il envisage parfois froidement de céder à l’appel du néant. Mais la beauté est là qui chante la vie par-dessus la mort et retient : les liens d’amitié dont les témoignages lui donnent malgré tout un peu de confiance dans le monde. Les grands élans que lui procurent ses lectures (Camus, Jean Améry, Thomas Mann, Bernhard, Kafka) ainsi que la musique (Mahler, Schönberg, Bartók). « [T]ant qu’il y a une œuvre, il y a un refuge » écrit ce pessimiste flamboyant, bien décidé à tenir jusqu’au bout son combat de création – son combat d’écriture.
Preuve en est ce texte pour l’heure inachevé qui met en scène un écrivain en train de réécrire l’histoire de Lot, « le seul homme pur et juste de Sodome » dont l’innocence lui pèse d’un « poids écrasant ». Un écrivain, son alter ego, qui lui non plus ne dépose pas les armes et continue de vouloir l’aube « comme un triste cessez-le-feu ».


Sophie Deltin

L’Ultime Auberge
Imre Kertész
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
Actes Sud, 318 p., 22,80

Description d’un (ultime) combat Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°161 , mars 2015.
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