Frédéric Valabrègue, les chemins de la liberté
Ses livres sont rares, qui viennent quand on ne les attend plus, alimenter les rayons des librairies loin des tables de nouveautés, de goncourables ou de stars. L’homme est discret, parle doucement d’une voix plutôt fluette où tinte l’accent du Sud. On s’est surpris, devant lui, à dire qu’il était un écrivain pour écrivains. Et de préciser : certains écrivains sont surtout lus par leurs pairs, avant de l’être plus tard peut-être par un lectorat d’amateurs. Ce sont des écrivains qui poussent la littérature vers des zones inexplorées, la langue vers là où on ignorait qu’elle puisse aller. Ce sont des écrivains dont les noms circulent dans les correspondances d’autres écrivains, finissent par entrer dans le corpus des noms indispensables. On pourrait évoquer Blanchot, Roger Laporte, mais aussi son ami Maurice Roche, Hubert Lucot qu’il a beaucoup lu. Frédéric Valabrègue pourrait rejoindre cette théorie d’auteurs dont les écrivains guettent la facture, la manière de déjouer les habitudes. Son œuvre, pourtant, est immédiatement préhensible. Nul besoin de s’armer d’un dictionnaire, de chausser les lunettes de l’enquêteur pour débusquer le sujet d’un verbe disséminé dans le bloc noir de l’encre. Frédéric Valabrègue écrit des livres qui se lisent, techniquement, sans difficulté. Mais son œuvre, diverse, sème le trouble, libère tant d’espaces, accueille tant d’étrangeté, qu’on le lit dans un tangage incessant entre la beauté des phrases et la disparition de la chronologie, l’acuité de l’observation et la surprise des enchaînements. On le lit aussi avec le sentiment qu’un autre texte court sous les lignes de celui qui s’offre à nous.
Encore ne parle-t-on que de son œuvre littéraire. L’homme a peut-être plus écrit autour de l’art, sur les artistes qu’il n’a donné de romans ou de récits. Mais ce qu’il pratique le plus peut-être, c’est la fréquentation des chemins de la liberté, ceux qui tournent résolument le dos à l’aliénation, à l’autorité, au pouvoir.
Frédéric Valabrègue naît en 1952 à Marseille, cadet d’une fratrie de trois garçons dont l’aîné est venu au monde 18 mois avant lui et dont le benjamin le suivra d’autant. La famille s’agrandira plus tard, si c’est encore une famille, avec cinq autres enfants, demi-frères et sœurs.
« Nous sommes trois frères de même père et même mère, très liés, incroyablement liés, presque comme des triplés. » Dans son livre au matériau autobiographique, Le Vert-Clos, on retrouve cette fratrie au seuil de ce qui va la marquer. On entend le lien étroit qui unit les trois frères.
Le père, ingénieur en matières plastiques, vient d’une famille juive du Comtat Venaissin. « Valabrègue est le nom des “Juifs du Pape” ». La mère est une catholique de Corse du Sud. Ce sont donc tous les deux des Méditerranéens et Marseille au bord de laquelle ils vivent fait un berceau contrasté, où la garrigue donne aux quartiers excentrés des airs de campagne.
Le Vert-Clos ouvre sa porte d’entrée sur un jardin qui...

