L’art de la discrétion. « Je suis plutôt un timide, un taiseux, avertit notre hôte. D’ailleurs, je n’ai jamais fait de lectures publiques de mes poèmes. Aucun goût. On a les convictions de ses tares. » Le nom de Laurent Albarracin n’est pas inconnu des lecteurs de poésie. L’Atelier de l’agneau, Le Corridor bleu, Dernier télégramme, Al Manar, Rougerie, ou encore Flammarion (Le Secret secret) accueillent ses textes. « Je suis un poète comblé », sourit-il. Depuis six ans, le Corrézien (né à Angers en 1970, il est documentaliste dans un collège à Tulle) endosse la casquette d’éditeur. Il publie des plaquettes, « ces armes légères de la poésie ». Un, deux ou trois poèmes inédits sur une page, pliée en quatre, format 11x15, avec couverture et rabats. Le premier titre du Cadran ligné, signé par son fondateur, donne l’orientation : « Chaque horizon découpe / la silhouette entière de la terre / Nous sommes à chaque ligne / des bâtisseurs d’aqueduc / dont les bonds de l’esprit / sont les arches folles. » Le suivant, de Pierre Peuchmaurd, sera un hommage à l’ami proche disparu. Au gré des sollicitations, la petite collection s’épaissit : Pierre Dhainaut, Jean-Paul Michel, Claude Margat, Ivar Ch’Vavar, Roger Munier, Philippe Denis, Eugène Savitzkaya, Leopardi, et tant d’autres… Au point qu’un désir de livre, cette fois, prend corps. En cette rentrée, Le Cadran ligné en fait paraître deux : Dans l’indifférence de l’arbre, de Christian Ducos, et Un soupçon de présence, d’Alain Roussel. Tout un programme.
Laurent Albarracin, comment devient-on éditeur ?
C’est par hasard que je suis devenu éditeur, si tant est que je le sois devenu… Cette activité, seconde, est avant tout un prolongement naturel de mes préoccupations de poète et de lecteur. Pierre Peuchmaurd disait, en paraphrasant le surréaliste Maurice Blanchard : « L’édition est la propriété de la poésie ». La collection « d’un seul poème » reflète mes goûts. Donner à voir ce que j’aime lire. Élargir le panorama. Arpenter le versant des découvertes.
En fait, il y a eu une première tentative en 2006, assez réjouissante, avec le peintre Georges-Henri Morin, à l’enseigne des Éditions de surcroît. Et puis, en 2009, un papetier artisanal s’est installé ici à Saint-Clément. J’y ai vu comme un signe. Il fallait se lancer. Le nom du Cadran ligné vient de là. Pour fabriquer une feuille, on utilise une sorte de cadre de bois supportant une trame qui forme les vergeures, les lignes du papier.
La plaquette, c’est une forme d’édition pauvre qui tourne le dos au marché. Quels étaient vos modèles ?
La plaquette est un objet que j’aime bien. C’est facile et pas cher. Le Cadran ligné s’inscrit dans une longue tradition de la microédition comme Myrddin de Pierre Peuchmaurd, Wigwam de Jacques Josse, la Collection de l’umbo de Jean-Pierre Paraggio…
La plaquette donne à voir presque gracieusement un poème, alors que nous vivons dans un monde qui a d’autres critères que...
Éditeur Affinités électives
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Philippe Savary
À l’enseigne du Cadran ligné, embarcation légère, le poète Laurent Albarracin édite des plaquettes et des livres, selon son bon plaisir. Un passeur curieux et heureux.
Un éditeur