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Égarés, oubliés Le règne de l’art

septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166 | par Éric Dussert

Surnommé Le Mallarmé de Belleville, Jean Dolent reste dans l’indifférence générale un ambitieux rénovateur du roman.

On a pris l’habitude de traiter avec désinvolture l’œuvre écrite de Jean Dolent et la dévotion exégétique dont fit preuve la dame Aurel (1869-1948) est vite devenue un fardeau : la salonarde, qui avait selon Léautaud un « air de cadavre profané », ne pouvait que nuire à son souvenir. Or, Jean Dolent, personnage lumineux, avait sur ses contemporains une influence certaine. On l’avait d’ailleurs surnommé le Mallarmé de Belleville, signe que sa pensée n’était pas roupie de sansonnet.
Né à Paris le 7 juin 1835 sous le nom de Charles-Antoine Fournier, il exerçait dans la profession de chef du contentieux d’une maison de commerce et avait développé en dilettante une activité de critique d’art et d’écrivain original. Il s’engagea dans la voie artistique sous l’influence de son ami Eugène Carrière qu’il recevait avec ses proches amis artistes dans sa villa des hauteurs de Belleville.
L’intermittence de ses publications corrigée par la subtilité de sa pensée et son originalité profonde lui valut une réputation de créateur ou de penseur à part. Pétri de sagesse, il n’en avait cure. Comme il l’écrivait au journaliste Jules Huret : « Vivre sans bruit console de vivre sans gloire ». ­Doué pour l’aphorisme, il en parsema ses écrits, tout empreints d’art – sa religion –, faisant preuve d’une distance de vieux sage qui impressionnait assez. « Les maîtres vont de la certitude au doute », assurait-il. Remy de Gourmont lui dressa belle couronne de lauriers : « Cet écrivain d’une si ingénieuse sincérité, de la plus fraîche jeunesse d’esprit, de la plus fine intelligence, attend le règne de l’art comme d’autres attendent le règne de Dieu. »
Plus qu’un petit-maître, il surprenait et son inventivité lui valait une attention toute particulière des artistes et des lettrés. Ses livres qui ne sont souvent ni tout à fait des chroniques, ni tout à fait des romans et pas du tout des essais restèrent difficiles à classer. On sait aujourd’hui à quoi s’en tenir. Lançant d’abord en 1862 Une volée de merles (E. Dentu), recueils de portraits critiques de Berlioz, Sainte-Beuve, Gautier, et « le Grand critique Tout le monde », Jean Dolent publia Le Roman de la chair (1866), Avant le déluge (1871), L’Insoumis (1871), un Petit manuel d’art à l’usage des ignorants (1874) qui évoque à s’y méprendre certains opus jaunes et noirs, et, en 1896, un livre étonnant qui mérite qu’on s’y arrête : Monstres (Lemerre).
S’inscrivant dans la lignée des grands livres de la modernité – Les Lauriers sont coupés (Dujardin, 1888), Paludes (Gide, 1895) ou Terrain à vendre avec vue sur la mer (Céard, 1906) –, Jean Dolent innovait en mettant en œuvre une esthétique du fragment désordonné radicalement nouvelle. Derrière l’apparente désinvolture qu’il imprimait à l’ « organisation » en fatras de ses livres régnait au fond une profonde rénovation de l’art littéraire qui n’aura d’équivalent que soixante ans plus tard. Son esthétique du fragment volatil et de la fluidité des propositions appartient à une modernité d’après 1945. Et puis quelles malices…
Consacré aux « virtuoses de l’artifice, gens doués pour la feinte, riches en belles ruses, donnant l’illusion de la force, de la puissance, de la noblesse, de la bonté » (Pierre Quillard) que sont les artistes, Montres donnait dans l’apparent capharnaüm de notes, écrits épars, ses propres articles publiés dans la presse, feuilles éparpillées et propos divers, les pensers du sculpteur Chantonnelle – « un peu Jean Dolent peut-être », commente Quillard en 1897 dans le Mercure de France. Et coup de force, il parvint à structurer un livre subtil où Chantonnelle observe deux créateurs en proie à leurs affres : Sichiard, qui ne parvient qu’à créer le titre de ses poèmes, et Pissotin dont tous les propos sont forcés de littérature littératureuse. Voici « un Monstre et ce Monstre est debout », au milieu des ellipses, des coq-à-l’âne, des scènes de la vie quotidienne syncopées, des paroxysmes, des exaspérations du sens des mots.
Bien avant Ulysse (1918), la fragmentation offre à Dolent l’occasion de nous procurer l’accès aux pensées du sculpteur, à ses observations et au contenu même du filtre de ses sensations : ici les gestes d’un ouvrier, là les paroles d’un enfant, les échanges de deux grisettes, « ses » femmes au visage flouté, ou ces propos d’homme libre dans une allégorie « rouge » où il lance des paroles « si frémissantes d’humanité, de douceur, de révolte et de mélancolique espoir » (Quillard). Pour finir, le sculpteur Chantonnelle aboutit l’œuvre qu’il avait en gestation : c’est un « Tueur de cochons » dont il comprend in extremis que c’est son autoportrait…
Ce qu’un snob nommerait aujourd’hui « roman total », ou encore « roman monde », est là, en 1896, apparemment aussi désordonné que le bureau du critique. Jean Dolent vient d’écrire un roman foncièrement nouveau pour des lecteurs qui n’en ont cure. Lui-même ne s’en offusqua guère. Peu de temps avant de s’éteindre, le 31 août 1909 à Belleville, ce Maître de sa joie s’étonnait encore : « Comme il y a longtemps que je suis jeune ! » La villa Ottoz où il recevait ses amis a été abattue, mais il reste dans quelques bibliothèques un livre signé Jean Dolent qui fera parler de lui.
Éric Dussert

Le règne de l’art Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°166 , septembre 2015.
LMDA PDF n°166
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