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Domaine français L’homme révolté

octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167 | par Anthony Dufraisse

Dans ce recueil d’interventions, l’écrivain africain Sony Labou Tansi donne toute sa (dé)mesure.

Encre, sueur, salive et sang

Différentes formes – textes critiques, lettres ouvertes, préfaces, notes, conférences, entretiens – mais un fond commun, une même force de résistance. Dans cet ensemble de dires et d’écrits couvrant la période 1973-1995, année de sa mort à 48 ans, Sony Labou Tansi joue les épouvantails. Lui l’homme de théâtre, le romancier (La Vie et demie, L’anté-peuple…) saisit toutes les occasions pour faire entendre une voix discordante, désaccordée, qui grogne, et cogne, et tonne. Lui le poète écorché veut réveiller les « bonnes consciences », qu’il épingle sans ménagement tout du long de cette anthologie. À la barre il convoque, pêle-mêle, « caissier d’opinions », « brouteur de positions », « émondeur de slogans », « truand esthétique », « cochon idéologique », « drogué linguiste », « débauché tiers-mondisant », « candidat au néant », docteur « en quelque truc de sorcellerie euro-africaine ». Voilà ses têtes de Turc, autant de têtes à claques qu’il malmène.
Tel qu’il nous apparaît ici, l’écrivain congolais francophone est d’abord et avant tout un homme révolté, très tôt entré en résistance. « Mon métier ? Révolté. Grade ? Révolté. Fonction ? Révolté », se présente-t-il en 1985. Quelques années plus tôt, c’est par le néologisme « résistencialiste  » qu’il se définit. Sans cesse, à la tribune ou seul devant sa feuille, il œuvre contre l’assignation identitaire qui voudrait faire de lui « un écrivain noir » alors qu’il se vit et se voit comme un « négro-humain  » citoyen du monde. Il peste contre le nihilisme ambiant alors qu’il faut oser espérer un monde meilleur. Et s’élève contre le matérialisme primaire (consommer, consommer) et sa version sophistiquée (le culturel) qui porte atteinte à une certaine authenticité de la vie et de la création. À longueur de pages, Labou Tansi s’emploie donc méthodiquement à asticoter les esprits obtus, les catastrophistes, les faussaires de la culture. Sa parole est à double détente : de « tapage », parce qu’il faut faire le boxon pour être entendu et en même temps de « sauvetage », parce qu’il faut préserver certaines choses, et d’abord le « genre humain ». « C’est dingue d’être amoureux de l’humanité mais je le suis et j’en suis fier », revendique-t-il dans un entretien en 1979. Celui qui assume écrire « pour faire peur et pour faire honte » fait penser à Kateb Yacine ou Thomas Bernhard. Comme eux c’est un écorché vif, un subversif. Ses réflexions sur le théâtre illustrent son désir de voir se manifester un élan porteur de vie : « Je crois moi en une manière finalement toujours plus nouvelle d’aborder la vie, une manière toujours plus neuve de venir au monde  », lit-on en 1981 dans une intervention à Brazzaville où il s’en prend aux intellectuels qui n’ont, à ses yeux, jamais assez de cœur et sont toujours trop calculateurs. À leur adresse il lance : « nous avons le devoir d’ajouter du monde au monde par notre pratique de la sensibilité, par notre exercice de l’imagination, car en fait, la honte n’est pas de rêver mais de manquer d’imagination ». Bouillonnant, Sony Labou Tansi parle avec ses tripes, ses « boyaux »  ; et il se fait un sang d’encre à la vue d’un monde qui vient – et qui est le nôtre, ici et maintenant –, dont il pressent très vite qu’il se disloque, se désintègre à toutes les échelles : à celle de l’homme comme à celle de la planète. Pour lui, l’occidentalisation de toutes les civilisations rime avec déshumanisation et ce qu’il appelle « l’impôt à payer à Descartes », autrement dit la rationalisation forcée, réduit les hommes et le monde en miettes.
Un mot revient souvent sous sa plume : « gaspillage ». « Le projet cartésien de possession du Monde », qui s’exprime selon Labou Tansi dans les nouvelles technologies, la société de consommation et, avant cela, dans l’histoire coloniale, mutile le meilleur des êtres et de la nature. Voir dilapider les biens offerts par la terre, voir « bâcler l’humain » le révulsent. Ce discours qui veut « changer la vie, changer le monde » est souvent fort car on le sent sincère. Mais il y entre aussi, et c’est sans doute sa faiblesse, trop de systématisme, et même de simplisme. N’y a-t-il pas confusion à vouloir absolument mettre dans le même sac la « comédie capitaliste », « la globalisation maladive des idées », « la pensée occidentale »  ? Comme emporté par sa colère, Sony Labou Tansi se prive parfois du sens de la nuance. Ainsi sont les esprits de subversion : ils ont les défauts de leurs qualités.
Anthony Dufraisse

Encre, sueur, salive et sang De Sony Labou Tansi
Seuil, 200 pages, 17

L’homme révolté Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°167 , octobre 2015.
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