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Domaine étranger Un clown triste

octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167 | par Thierry Cecille

David Grossman dépeint une espèce de Desproges israélien s’effondrant dans un one-man-show calamiteux : une allégorie politique ? une parabole kafkaïenne ?

Un cheval entre dans un bar

Cesarée, bonsoir, bonsoir, bonsssoir !!! La scène est encore vide. Le cri a retenti depuis les coulisses. Dans la salle, les spectateurs se taisent peu à peu et sourient, dans l’attente de la suite. Un binoclard maigrichon et court sur pattes déboule d’une porte latérale sur la scène comme propulsé ou éjecté à coups de pied. » Dès l’incipit, ainsi, le dispositif – théâtral et romanesque à la fois – est en place : en même temps que son public israélien, rassemblé ce soir-là à Césarée, l’ancienne mythique capitale d’Hérode le Grand, nous découvrons, puis devrons écouter, deux ou trois heures durant, Dovalé, l’artiste qui si violemment entre ici en scène. Dovalé est un comique, un virtuose, assez connu semble-t-il, du stand up, un maître de la parole sarcastique, sardonique, cynique, agressive, accusatrice ou autocritique. La première réussite de Grossman est de relever le défi de cet incipit : nous pouvons vivre ce spectacle en temps réel, y assister en quelque sorte, notre lecture, si nous disposons du temps nécessaire, peut équivaloir à la durée du one-man-show lui-même, dans cette salle de spectacle que jamais nous ne quittons. La description par Grossman des gestes, des attitudes, des variations de débit ou de ton de Dovalé, est d’une fascinante précision, remplace les caméras les plus perfectionnées, nous permet d’imaginer le tremblement de ses lèvres, la nervosité de ses mains, jusqu’à ses essoufflements ou ses murmures inaudibles.
Mais il faudra être tenace pour le suivre jusqu’à la dernière minute, jusqu’à la dernière page : les spectateurs, eux, abandonnent peu à peu, certains se révoltent, d’autres se lassent. C’est que ce soir-là n’est pas un soir comme les autres : Dovalé a invité le narrateur à venir l’écouter. Juge de district à la retraite, veuf inconsolé et misanthrope solitaire, ce narrateur est aussi, nous l’apprendrons peu à peu, un ami d’enfance de Dovalé – qu’il avait tout à fait oublié avant que celui-ci ne force sa mémoire et ne l’engage à jouer, ce soir-là, un rôle ambigu. « Je voudrais, a-t-il laissé échapper, que tu viennes me voir. Que tu me regardes bien, et qu’après tu me racontes. / Que je te raconte quoi ? / Ce que tu as vu. » Alors qu’il est au départ totalement désarçonné, d’autant plus qu’il n’a aucun goût pour ce genre de spectacle (« C’est à peine si je me rappelle la sonorité de mon propre rire  » doit-il s’avouer), il cède peu à peu à un mélange complexe de curiosité et de dégoût, de fascination et de mépris, alors que Dovalé semble, lui, s’enfoncer toujours davantage dans ce qui se met à ressembler à une confession dostoïevskienne.
Alors que Grossman sait d’ordinaire, par exemple dans l’admirable Une femme fuyant l’annonce, marier le récit de bouleversants destins individuels à l’évocation complexe de l’Israël d’aujourd’hui, ce nouveau roman, même s’il est aussi parfaitement maîtrisé, suscite notre perplexité. Nul doute qu’on y trouve deux portraits représentatifs : celui de Dovalé l’écorché vif et celui, en creux ou en miroir, du mélancolique narrateur. Peut-être certaines des histoires que raconte Dovalé sont-elles révélatrices des tensions qui parcourent le pays (on y trouve des allusions aux Palestiniens, aux différentes guerres menées par Israël…). Grossman dépeint également avec acuité «  la tentation de lorgner l’enfer d’autrui  » qui gagne peu à peu le public. Mais on ne peut en définitive que se demander ce que cherche à dire Dovalé, ou Grossman à travers les mots de Dovalé. Ce spectacle est-il une allégorie de ce qui se joue aujourd’hui dans ce pays ? Ou y aurait-il là la quête d’un impossible « verdict  » ? Puisque ce terme kafkaïen est prononcé, ne faudrait-il pas rapprocher l’exhibition de soi où s’acharne Dovalé de celles auxquelles se livrent, chez Kafka, « l’artiste du jeûne » ou Joséphine, la cantatrice du «  peuple des souris  » ?
Thierry Cecille

Un cheval entre dans un bar
de David Grossman
Traduit de l’hébreu par Nicolas Weill, Seuil,
229 pages, 19

Un clown triste Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°167 , octobre 2015.
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