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Égarés, oubliés Gonzo prototype

janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169 | par Éric Dussert

Ahurissante d’audace, la jeune Nellie Bly invente le reportage clandestin et cloue sur place Phileas Fogg.

Dix jours dans un asile

Nellie Bly a tellement pris d’avance qu’elle a laissé tous ses concurrents sur place. Cette jeune femme, jolie comme tout, prototype du Rouletabille moderne, va révolutionner le journalisme bien avant Hunter S. Thompson et son reportage gonzo chez les bikers en 1970. Fille d’un juge, l’audacieuse Elizabeth Jane Cochrane, née le 5 mai 1864 dans le comté d’Armstrong en Pennsylvanie, débute sous le pseudonyme de Nellie Bly par une lettre contondante signée « L’Orpheline solitaire » où elle fustige un journaliste sexiste qui… l’embauche au Pittsburgh Dispatch. Elle a 16 ans. Premier reportage en infiltration dans une tréfilerie. Il n’est pas du goût des industriels. Elle part au Mexique, s’en fait expulser, en tire un livre et se rend à New York où elle fait le pied de grue dans les bureaux du New York World pour y être embauchée. Le patron, Joseph Pulitzer, lui promet un contrat si elle parvient à se faire interner dans un asile et à en ramener un reportage. C’est ainsi que le 22 septembre 1887, elle entre sous le nom de Nellie Brown dans un asile après avoir inventé un personnage de folle assez mystérieuse pour attirer l’attention des journaux en manque de sensationnel. « J’eus également la visite de James F. O’Rourke [le directeur de l’hôpital Bellevue], qui m’examina à son tour pour éprouver ses talents. Il revint par la suite accompagné de femmes élégantes et d’hommes du monde impatients de rencontrer la fameuse Nellie Brown [… Le dr Field] me fit tendre les bras puis remuer les doigts, ce que je fis bien volontiers. Il déclara alors à son tour que mon cas laissait peu d’espoir. Le numéro se répéta avec les autres patientes. »
Certaines scènes du reportage sont atroces : ces patientes ont toutes les chances de finir leur vie dans un cloaque mis en coupe réglée par des infirmières sadiques, sous le regard placide de médecins incompétents, lâches et imbus d’eux-mêmes. Son reportage fait scandale, la ville trouve de l’argent pour mettre bon ordre à cette impéritie. Mais Nellie Bly ne s’arrête pas en si bon chemin. Dès l’année suivante, à 23 ans, la jeune fille décide de battre Phileas Fogg sur son propre terrain — le livre de Jules Verne a paru en 1872 — et elle y parvient ! Malgré le machisme des financiers qui refusent de l’aider. Suivie de près par une autre femme, Elizabeth Bisland, l’amie et future éditrice de Lafcadio Hearn et du Cosmopolitan, elle emporte le morceau en soixante-douze jours et quelques heures. Réponse de Verne : « Jamais douté du succès de Nellie Bly, son intrépidité le laissait prévoir./ Hourra ! Pour elle et pour le directeur du World ! Hourra ! Hourra ! »
Son travail inspire alors les journaux de tout le pays qui s’empressent d’embaucher des stunt girls (cascadeuses) dont Annie Laurie, du San Francisco Examiner, qui « testa » le traitement des femmes pauvres dans un hôpital public de la ville. D’autres stunt girls passent une nuit dans la salle des coffres d’un dépôt du trésor américain, servent d’assistante à un dresseur de lions ou se font tirer une balle de winchester (.45) dans la poitrine protégée par un gile pare-balles… Toutes signaient pour le NY World du nom de « Meg Merrilies », un pseudonyme collectif.
Pour Nellie Bly le retour à la réalité n’est pas simple : alcool et morphine ont raison d’elle. Si Merrill Goddard la réembauche au World (elle en profite pour faire une interview de l’anarchiste Emma Goldman), son activité sombre dans la routine des entretiens avec les célébrités et des enquêtes bébêtes sur de prétendus fantômes ou de riches aliénés d’un asile de luxe. Elle n’a alors que 27 ans. Un article du Journalist la dit « de retour, la plume brisée, blessée dans ses sentiments, reléguée à l’arrière-plan, ou assignée à traiter des sujets abjects ou révoltants. » Lassée de ce travail, elle rencontre dans un train de retour de Chicago un millionnaire, le propriétaire de l’Iron Clad Manufacturing Compagny, de Brooklyn, qu’elle épouse. Au décès de Robert Seamon, elle devient la maîtresse d’un formidable complexe industriel, déposant vingt-cinq brevets à son nom, obtenant des succès en matière de design industriel mais… en se laissant pilier par des comptables malfaisants. En faillite, elle quitte New York le 1er août 1914, vit en Autriche la haine des Anglais au corps puis revient à New York où elle reprend une chronique à l’Evening Journal. Elle s’y enquiert du sort des plus pauvres. « Le vrai bonheur et l’oubli de soi ne s’acquièrent qu’en faisant le bonheur d’autrui » note-t-elle alors avec un enthousiasme retrouvé. Fatiguée néanmoins par son métier qui la contraint à de constants déplacements, Nellie Bly meurt d’une pneumonie le 27 janvier 1922 à l’âge de 57 ans. Par un hasard peu commun, elle est enterrée dans le même cimetière qu’Elizabeth Bisland, avec laquelle elle partage d’autres points communs encore. C’est leur biographe Matthew Goodman qui relève ces coïncidences : « épouses d’hommes riches, sans enfants, bénévoles en Europe pendant la Première Guerre mondiale, veuves, décédées d’une pneumonie et écrivaines jusqu’à la dernière heure ».
En cours de traduction, les livres de Nellie Bly vont être accessibles : leur traversée de l’Atlantique aura juste été un tout petit plus longue qu’un tour du monde… en rampant.
Éric Dussert

Dix jours dans un asile
de Nellie Bly
traduit de l’américain par Hélène Cohen
Éditions du Sous-Sol, 128 pages, 14

Gonzo prototype Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°169 , janvier 2016.
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