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Domaine étranger Le murmure de l’histoire

mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173 | par Camille Cloarec

Comment vivre et créer sous le totalitarisme soviétique ? L’écrivain anglais Julian Barnes s’empare de la figure complexe du compositeur Dmitri Chostakovitch.

L’art soviétique appartient au peuple. Représentatif des masses, il fuit toute expérimentation, taxée de déviationniste et passible de mort. C’est pourquoi le 26 janvier 1936, lorsque Staline assiste à l’opéra de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk, il le déteste. Ce « fatras » signe le début des persécutions dont fut victime le compositeur. Dans Le Fracas du temps Julian Barnes évoque, au détour de trois moments particuliers, la terreur quotidienne qui fut la sienne.
En 1936 donc, Chostakovitch est « un homme qui, comme des centaines d’autres dans la ville, attendait, nuit après nuit, qu’on vienne l’arrêter ». Sur son palier, sa petite valise à portée de main, il guette ceux qui l’enlèveront à sa famille. En 1948, il est dans l’avion, de retour du Congrès culturel et scientifique pour la paix dans le monde qui s’est tenu à New York. Il s’est plié aux divers discours que l’on a écrits pour lui, y compris la diffamation contre celui qu’il considère comme son modèle, Igor Stravinsky. Enfin, en 1960, après avoir adhéré de force au Parti, installé à l’arrière de sa voiture, il se laisse porter par le paysage qui défile. À présent, « il ne voyait que ce qui était parti ». Chacun de ces trois mouvements, qui rappellent dans leur structure une pièce musicale, est « le pire moment d’entre tous ». Ce sont des fragments douloureux, qui pénètrent au plus proche de ce qu’ont pu être les sentiments de l’artiste.
Le Chostakovitch de Julian Barnes est un personnage déséquilibré et malheureux, écrasé par la peur et la honte. Sa liberté et sa créativité sont réduites à néant par ce mystérieux « ils », pronom paranoïaque et mystérieux, scandé tout au long du texte. Les accusations de complots, les interrogatoires et les menaces constantes forment « un vaste catalogue de petites farces aboutissant à une immense tragédie » : celle de la Russie soviétique. L’angoisse est diffuse et sourde, et ne faiblit guère avec l’avènement du « régime végétarien » de Khrouchtchev. Les honneurs sont peut-être ce qu’il y a de pire. À coup de décorations, « ils venaient lui prendre son âme ». C’est un avilissement terrible que de n’avoir pas su, pas pu, dire non. Barnes questionne le courage et la lâcheté, imaginant le mépris de Chostakovitch pour lui-même, et sa colère envers les intellectuels étrangers soutenant l’URSS. « Peut-être était-ce un des drames que la vie ourdit pour nous : c’est notre destinée de devenir dans notre vieil âge ce que, dans notre jeunesse, nous aurions le plus méprisé », lui fait-il dire.
Les différents témoignages et archives dont s’est nourri Julian Barnes pour construire cet ouvrage n’étaient guère homogènes. Des versions multiples et contradictoires de chaque événement de la vie de Chostakovitch (1906-1975) subsistent : « tout cela est très frustrant pour un biographe, mais pain béni pour un romancier », se réjouit l’auteur dans la postface. Puisqu’il n’y a pas d’unité, puisqu’« il était impossible de dire la vérité et de vivre », tout ou presque peut être envisagé. L’homme était-il tourmenté ou indifférent, moqueur ou sérieux, traître ou héroïque ? Julian Barnes opte pour une figure solitaire et ironique, qui joue sur les tons, les mots et les notes. Selon une introspection morcelée qui suggère les blancs et les doutes, il dessine un artiste meurtri et obstiné. « Il pouvait toujours travailler, quels que fussent l’inconfort et le chaos autour de lui ». La musique vire à l’obsession. Méticuleux, acharné, Chostakovitch poursuit son œuvre comme il le peut. « Que le Pouvoir ait les mots, parce que les mots ne peuvent pas souiller la musique. La musique échappe aux mots : c’est sa raison d’être, et sa noblesse », se persuade-t-il. Son langage propre, c’est celui de la musique. Son unique maîtrise est celle de la composition. Qu’importe ce qu’il laisse derrière lui : du dédain, de la colère, de l’admiration. « L’art est le murmure de l’Histoire, perçu par-dessus le fracas du temps  ».
Camille Cloarec

Le Fracas du temps de Julian Barnes
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France,
208 pages, 19



Le murmure de l’histoire Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°173 , mai 2016.
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