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Égarés, oubliés Sympathie pour le Malin

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Éric Dussert

Féministe, pacifiste et anarchiste, Ethel Mannin était une Britannique étonnante. Son audace n’a pas payé.

La France serait-elle vraiment terre d’accueil ? Il semble que pour Ethel Mannin elle soit effectivement devenue une sorte de havre. Oh, pas une terre de bombance, non, juste un îlot au milieu d’un océan d’ingratitude qui tente d’engloutir son œuvre prolixe et particulièrement intéressante. Depuis 1945, cinq romans de cette Anglaise ont paru dans l’Hexagone alors que, dans le même temps, elle finissait par être tout à fait oubliée par ses propres concitoyens tentés de voir chez elle un auteur de livres féminins sans intérêt. Bien avant sa disparition en 1984, ils avaient mis sa littérature sous le boisseau. Si ces premiers livres évoquaient les conditions de vie de la classe ouvrière et en particulier le sort des travailleuses dont les ambitions bien que modestes n’en étaient pas pour autant assouvies, Ethel Mannin fut tout autre chose qu’une pétroleuse monomaniaque au front buté. À la tête d’une bibliographie d’une cinquantaine de romans, et de cinquante autres essais, souvenirs, pamphlets, livres de voyages au Moyen-Orient et en Asie, Ethel Mannin est un écrivain conséquent.
Née en 1900, fille d’un agent des postes socialiste, elle publia son premier roman Martha en 1922. Neuf ans et quelques ouvrages plus tard, elle atteint une notoriété singulière en donnant des Confessions and Impressions dont le premier terme attira les amateurs de scandales. Mais de scandale, point : Ethel Mannin évoquait là ses rencontres avec Radclyffe Hall, Charles Laughton, etc. Sa vie du reste fut toujours particulièrement riche. Poussée par son père sur la voie du socialisme (elle adhère au parti travailliste en 1932), Ethel commença par être sténographe dans une agence de publicité à l’âge de 15 ans. Elle brilla apparemment puisque, deux ans plus tard, elle s’occupait pour son employeur d’un journal dramatique et sportif, The Pelican. Son premier succès littéraire ne tarda pas : Sounding Bass (1925) moquait allègrement l’univers de la publicité… Il ne fut jamais traduit en français (ne serait-ce pas le moment ?) Bientôt féministe engagée et militante pour la décolonisation et les Républicains espagnols, elle est à partir de 1931 toujours plus à gauche, fréquentant de manière intermittente les soirées majorquines avec la toxico Elvira Barney, qui avait défrayé la chronique en tuant son amant, et sa bande de déjetés. « C’était infesté d’une foule d’étrangers indésirables, de drogués, de dipsomanes, d’escrocs, de riches somnolents et de toutes sortes de parasites (…) Il y avait trop de bars et trop d’alcool. C’eût pu être Montparnasse. »
À partir de 1934, elle trouve chez William Butler Yeats un contact beaucoup plus philosophique. Son goût pour l’ésotérisme surtout l’attire. Elle correspond durant cinq ans avec lui. Après avoir été marxiste, et avoir soutenu la Russie bolchevique, elle se tourne définitivement vers l’anarchisme en succédant à Emma Goldman en tant que correspondante à Londres du mouvement international de la Solidarité antifasciste. Son pacifisme instinctif est nettement conforté par le livre de Bart de Ligt, Conquest of Violence (1937)… jamais traduit en français lui non plus.
Les livres d’Ethel Mannin eurent parfois cette chance. Aujourd’hui, on peut dénicher La Jeune Sorcière (Bordas, 1946), Double concerto (Nicholson and Watson, 1947) ou Vous qui êtes ma vie (Editions de la paix, 1953) et, grâce aux éditions Marabout, à Terre de Brume et à la traductrice Anne-Sylvie Homassel, l’un des ouvrages les plus étonnants de l’après-guerre anglais : roman de 1945, Lucifer et l’enfant s’attache à décrire l’état d’esprit du Malin dans le contexte du retour à la paix géopolitique et de la persistance des plaies de l’âme humaine. Pour Ethel Mannin, comme le diable de John Milton, c’est un être moral bien plus élaboré que Dieu, un être capable d’être attachant, luttant malgré les tortures parce que son but est juste, au lieu de reposer dans « la froide sécurité du triomphe » divin. À l’instar du diable de The Loving Huntsman (1926) de Sylvia Townsend Warner, le diable apporte aux maltraités une consolation, une rédemption, perverse il est vrai. Déjà, Baudelaire, Flaubert ou Anatole France avaient choisi de présenter le diable comme exemple moral, mais les Britanniques avaient été plus réticents jusque-là. De fait, « La société que décrit Lucifer and the Child n’a rien d’idéal, et l’on n’échappe à son oppression incessante que dans la mort. Mais le livre n’est pas complètement désespéré ; la critique extrêmement acerbe du monde qu’il décrit est présentée d’un point de vue hypothétique qui reste idéaliste en dépit de sa lugubre objectivité » explique le préfacier Brian Stableford.
En effet, comme dans les premiers livres d’Ethel Mannin, la jeune enfant était bel et bien « une héroïne dont la vie a déjà été gâchée dans le terrain vague de la vertu passive » – lire, à demi-mot, sous le plume d’Ethel Mannin : « et le marécage de l’acception du monde économique tel qu’il est ». Proche de l’esprit de Lord Dunsany et d’une poignée d’auteurs anglais de l’immédiat après-guerre, Ethel Mannin cherchait à réenchanter le monde. Se laissa-t-il faire ?
Éric Dussert

Sympathie pour le Malin Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
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