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Poésie D’âmes et d’ailes

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Éric Dussert

Ishikawa Takuboku est le plus grand poète japonais de l’ère Meiji. Son recueil de 1910, Une poignée de sable, paraît dans son intégralité.

Une poignée de sable

On n’expliquera probablement jamais les arcanes que suit la littérature étrangère pour parvenir jusqu’à nous. Des œuvres dérisoires sont imprimées chaque année avec une scrupuleuse obstination tandis que des œuvres de premier plan comme les poèmes du Japonais Takuboku mettent un siècle à nous arriver dans leur intégralité. Ils n’occupent pourtant pas le volume d’un pavé de roman à l’américaine ! Tout juste cent soixante-six pages auxquelles on peut ajouter une trentaine de pages de postface explicative du traducteur Yves-Marie Allioux. Ça n’est pas la mort du petit cheval. Et l’imprimeur semble avoir survécu. Alors quoi ?
Alors on se rappellera que les éditions Arfuyen ont déjà publié en trois parties une partie d’Une poignée de sable, son grand-œuvre, c’est-à-dire Ceux que l’on oublie difficilement (1979), Fumées (1989) et L’Amour de moi (2003) mobilisant pour ce faire les traducteurs Alain Gouvret, Yasuko Kudaka, Thierry Trubert-Ouvrard, Tomoko Takahashi, Pascal Hervieu et Gérard Pfister, mais que cela n’a pas suffi à faire éclater l’évidence chez le lecteur français. La figure de Takuboku est restée en demi-teinte, reconnue par les plus militants des lecteurs de poésie qui clamaient cependant que sa place était bel et bien aux côtés des plus grands. Son éditeur d’aujourd’hui précise d’ailleurs leurs noms : « Rimbaud, Pessoa ou Walt Whitman ». C’est dire. Un manga en trois volumes dû à Natsuo Sekikawa et Jirô Taniguchi a même enfoncé le clou récemment en racontant le destin difficile du poète, qui, né en 1886, disparut dès 1912 après avoir publié une poignée de recueils et quelques essais de poétique majeurs (Au temps de Botchan, Casterman, 2011-2013).
Surnommé le poète de la tristesse – la mort de son fils et de sa mère ainsi que la tuberculose qui l’emportera lui-même n’y sont pas pour rien –, Takuboku fut successivement instituteur, journaliste ou correcteur, opta pour le vers classique, romantique ou naturaliste, mais il inventa sa modernité, renouvelant la forme du traditionnel tanka dont il choisit de modifier la structure en basculant sur trois vers ce qui habituellement se construisait sur cinq (5-7-5/7-7). Et c’est ce qui nous est donné de découvrir aujourd’hui dans la version d’Une poignée de sable préparée par Yves-Marie Allioux, recueil magistral où l’on se plaît à lire entre les lignes la vie du poète, ses notations succinctes sur les femmes, son pays natal, la brièveté des jours qui passent, la difficulté de vivre cette époque de redoutables bouleversements économiques et sociaux que fut l’ère Meiji – on pense au Bateau-usine de Takiji Kobayashi (Yago, 2010) –, les saisons ou l’amour. Inspiré un temps par les vers de l’étonnante Yasano Akiko (1878-1942) dont les Cheveux emmêlés (Les Belles-Lettres, 2010) l’avaient séduit lors de leur parution en 1901, il proposait dans Une poignée de sable cinq cent cinquante et un tankas magnifiques de fugacité et de grâce, soit 1653 vers répartis en cinq parties (« Chants de l’amour de soi », « Fumées », « Dans la douceur du vent d’automne », « Ceux que l’on oublie difficilement », « Au moment d’ôter ses gants ») où s’exposent contre toute habitude poétique l’insuccès et l’échec, les tourments de l’être moderne, ses aspirations et ses déceptions, traitées parfois avec autodérision. « Oh mon cœur toujours en colère comme tu es pathétique ! / Allons allons / bâillons un peu au moins ». Y apparaissent en fait tous les moments qu’il a choisi de noter pour ne pas les perdre.
Dans un article intitulé Dialogue entre un égoïste et un ami de novembre 1910, Takuboku soulignait avec mélancolie qu’il lui importait essentiellement de préserver les « secondes qui plus jamais ne reviendront dans sa vie » car, à ses yeux, « La poésie ne doit pas être une soi-disant poésie. Elle doit être une relation rigoureuse des variations de la vie émotionnelle de l’être humain  » (Poésie à croquer, 1909). On comprend dès lors l’intensité qui traverse ses pages. « Né homme je vis dans un monde d’hommes / où je me retrouve toujours perdant / C’est pourquoi sans doute l’automne me touche autant ». Tous ces tankas parlent du monde de Takuboku et de celui de ses pairs : « Se réjouir d’écrire de mauvais romans / cet homme me fait pitié / Premiers vents de l’automne ». De sa solitude : « Arrêtant d’écrire une longue lettre inutile / soudain en mal de compagnie / je sors en ville ». De sa vie personnelle, avec humour parfois : « Comme tu m’avais dit que tu viendrais m’étant levé très tôt / c’est pour ma chemise blanche / et la saleté de ses manches que je m’inquiète aujourd’hui ! ». Puisque, parfois, la vie accorde un soulagement : « Quoi qu’il en soit quand je sors / il y a parfois la douceur des rayons du soleil / et je respire à fond ». Et le lecteur français d’aujourd’hui a une chance inestimable de pouvoir lire enfin ce recueil magnifique que son éditeur a recouvert d’une reproduction du traditionnel papier laqué à motif de libellules, témoignant que le tanka est fugace, se lit en un instant et peut, si l’on est perméable, s’envoler en nous à chaque instant. Ceux de Takuboku ne s’oublient pas.
Éric Dussert

Une poignée de sable d’Ishikawa Takuboku
Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux,
Philippe Picquier, 203 pages, 20

D’âmes et d’ailes Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
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