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Domaine français Prose noire

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Richard Blin

Avec un quatrième roman qui explore, sur fond de mutation de l’univers rural, l’être confronté à ses parentés animales, Jean-Baptiste Del Amo s’affirme comme l’un de nos meilleurs écrivains.

Elle a du corps la phrase de Del Amo, elle installe une forme de présence où semble se ramasser le cœur intime des choses. Comme si, au terme d’un savant – ou d’un inné – partage entre le voir et le sentir, elle parvenait à saisir et à rendre ce qu’il y a de plus que l’apparence visible. Et ce jusque dans l’énoncé des vérités les plus terribles. Comme celles qu’impose l’histoire, ici racontée, d’une petite exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. Une histoire courant du début à la fin du vingtième siècle, impliquant cinq générations, et dont l’une des premières phrases donne le ton. « Quelle que soit la saison, il attend la nuit sur le banc de bois, le même banc de bois sur lequel il a vu son père prendre place avant lui, et dont les pieds moussus et rompus par les ans sont à présent affaissés. »
Un roman donc qu’inaugure, très symboliquement, l’attente de la montée des ténèbres. « il », celui qui « attend la nuit », c’est le père, un petit paysan « taiseux et souffreteux » qui se tue à la tâche. Auprès de lui vivent sa fille Éléonore, et « la génitrice », qui se contente de transmettre à sa fille « le savoir des tâches quotidiennes qui incombent à leur sexe ». Une vie des plus rustiques où les hommes s’occupent de la culture des terres et de la mise à mort du bétail, tandis qu’aux femmes revient le soin des animaux. Un univers de privations et de labeur épuisant, rythmé par le cycle immuable des saisons, la misère et la maladie. Un monde où les enfants « semblent ne rester des enfants que l’espace d’un battement de paupières », où les paysans aux corps souvent abîmés, « amputés par les lames, calcinés par le soleil » sont des vieillards à 40 ans.
« Dans le même temps, le même lieu, hommes et bêtes naissent, vivotent et disparaissent. » Ainsi, au père, a succédé le jeune cousin Marcel. Mais très vite, c’est la guerre, la mobilisation générale, le bétail réquisitionné, transporté, entassé dans des parcs, juste maintenu en vie avant d’être saigné, dépecé, découpé pour servir de nourriture aux régiments. À son retour, Marcel, dont la moitié du visage a été emporté, épouse Éléonore. C’est leur fils, Henri, qui va développer une porcherie à laquelle il associera ensuite ses deux fils. Obsédés par la nécessité de produire toujours plus, ces hommes vont vivre, et faire vivre à leur famille, un enfer qui est comme la contrepartie de celui qu’ils font vivre aux bêtes de leur élevage industriel où l’animal est nié en tant que vivant, être qui voit, sent, entend, et n’a droit qu’à une souffrance illimitée qui n’est pas sans effet sur les hommes.
Répéter chaque jour les mêmes gestes au sein de ce monde clos et puant où « tout n’est qu’une immense infection » difficilement contenue à coups d’injections de vaccins ou d’administration d’antibiotiques, devient surhumain pour les fils. L’un ne supporte le travail qu’enivré par l’alcool, l’autre ne le fait que plongé dans une grande hébétude. C’est qu’ils ont accepté le joug sous lequel le père – un misanthrope qui ne croit en rien, « sinon en lui et en la valeur du travail » – les a placés et auquel ils se sont soumis pour se dérober à sa colère et à son désaveu. Des étouffés, des adeptes du consentir perpétuel, élevés dans la religion du dressage, de la soumission, du sacrifice extatique.
À cette fondamentale disharmonie, à ce clan et à cette porcherie qui partent à vau-l’eau dans le bruit et la fureur, Del Amo donne vie et consistance. Privilégiant le sensoriel, son écriture saisit leur monde au plus près du vécu, sonde les trous noirs ontologiques, descend dans les cœurs, les ventres ou les gouffres nauséabonds de soi où se mêlent orgueil, complaisance et instincts qui rendent l’homme bestial. Seul, Jérôme, « le dernier de la harde », un innocent retranché dans son « éternel silence », un de ces êtres ayant renoncé aux frontières entre le rêve et la réalité, sait encore partager le monde avec les bêtes. À l’image de ce que « la Bête », le fleuron des verrats de l’élevage, un animal monstrueux, qui aura su guetter le moment lui permettant de s’enfuir, de faire ce dont les hommes se sont montrés incapables : déborder les frontières imposées, faire voler en éclats toutes les passivités et toutes les obédiences.
Monument de négation lyrique, et probante entreprise de démolition romanesque des lendemains qui chantent, Règne animal, en nous montrant comment la vie peut être volée à l’individu avec son consentement, relève de cette littérature qui a une fonction quasi éthique de dévoilement.

Richard Blin

Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo,

Gallimard, 432 pages, 21


Prose noire Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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