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Domaine étranger Un homme sans garantie

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Sophie Deltin

Le Noyau blanc du romancier allemand Christoph Hein se lit comme une fable existentielle sur la précarité de l’homme et la contrefaçon des valeurs que propose le monde contemporain.

Un homme assis, à l’étroit, sur un siège d’un avion à bas coût à destination de Bâle, le front appuyé contre le hublot, fixant les nuages, il est plongé dans ses pensées. Soudain, il croit apercevoir les hélices s’arrêter de tourner, elles s’immobilisent. Instant de peur panique : « c’est la fin » se dit-il, incapable de proférer le moindre son. Voici la scène inaugurale, volontiers anxiogène, du nouveau roman de Christoph Hein qui fait de la hantise de la chute libre dans le vide le symbole de la précarité fondamentale de l’existence. Rüdiger Stolzenburg, 59 ans, originaire de RDA, a beau avoir fière allure, il est pourtant un homme en sursis : chargé de cours depuis plus de quatorze ans au sein du département de sciences humaines de l’université de Leipzig, il n’a plus aucune chance d’être titularisé et se voit même menacé de perdre son « demi-poste ». À l’heure où l’université, asphyxiée par des financements et des subventions introuvables, est contrainte à toujours plus d’économies, il faut miser sur « des jeunes qui en veulent et ne coûtent pas cher ». « Nous sommes perçus comme un boulet, résume le directeur du département. (…) Je ne peux plus compter sur quelque chose qui ressemble à la solidarité, (…) et nous, nous avons de toute façon la réputation d’être des fleurs exotiques, une sorte de discipline de luxe ». Amer « de n’être arrivé à rien », Stolzenburg fait figure de perdant. Discriminé, il se sent humilié face à certains étudiants arrogants de disposer déjà de bien plus d’argent que lui qui tente péniblement de boucler les fins de mois en honorant conférences, articles ou recensions pour les journaux ou pour la radio.
La situation se complique le jour où il se trouve acculé par le fisc à régulariser un retard d’impôts. Obnubilé par son compte en banque, cynique et mesquin, Stolzenburg n’a pour tout dire rien de franchement sympathique. Divorcé, père d’une fille qui ne l’appelle qu’une fois l’an au téléphone pour lui réclamer de l’argent, il entretient des liaisons souvent éphémères avec des femmes jeunes – « Une liaison c’est une amitié avec des draps de lit, ni plus ni moins », dit-il avec pragmatisme. Parmi elles, des étudiantes très jeunes mais « majeures, précise-t-il… ni naïves ni innocentes », chacun devant selon sa théorie y trouver son compte : « Enseigner c’était donner et prendre, c’est comme cela que ses maîtres lui avaient enseigné la pédagogie, et il ne faisait pas autre chose quand il élargissait un peu les notions de prendre et de donner. » Dans cette peinture désabusée des relations à faible investissement, l’attrait pour l’insaisissable Henriette qui résiste plus ou moins à ses avances, semble venir perturber quelque peu sa vision des choses.


Miroir des valeurs d’une société marchande


Roman de l’insécurité sociale, économique autant qu’affective, situé au point névralgique dans le rapport entre les hommes et les femmes autant que dans le rapport entre les générations, Le Noyau blanc paru en 2011, se lit comme un état des lieux réaliste et ravageur, de l’université, miroir des valeurs d’une société individualiste et marchande, où loin de tout idéal de transmission, il est possible d’obtenir de bonnes notes en échange d’argent et de sexe tout en ne proposant plus aux étudiants que la perspective de les « envoyer au chômage avec une bonne culture ». Comme dans L’Ami étranger (1982), Le Jeu de Napoléon (1993) ou encore Paula T., une femme allemande (2010), Christoph Hein, né en 1944 en Silésie, fer de lance de la littérature est-allemande dans les années 80 et indéfectible observateur de son pays après la réunification, reste ici encore à l’écoute de l’époque, son nouveau héros cristallisant quelque chose du sens socio-économique du temps présent. Insolvable, dénué de garantie, Stolzenburg apparaît de ce point de vue comme le révélateur des menaces et des obsessions que fait peser une idéologie capitaliste, résolument jeuniste qui mise tout sur l’apparence, le carriérisme et la concurrence. Enclin à jalouser ses étudiants, leur argent et leur jeunesse, Stolzenburg a cette perception négative, défaitiste, voire catastrophiste du temps. Mais vieillir signifie-t-il forcément être vieux ? À l’image du casque de cycliste qu’il porte à chaque fois qu’il enfourche son vélo, Stolzenburg tente de se protéger de la peur de « tomber », de devenir « un poids mort ». Sur son « échelle de menaces potentielles », il n’aurait pourtant pas pu prévoir l’agression absurde mais d’une violence stupéfiante par une fille de 12 ans à la tête d’une bande qui le laissera à la fois honteux et traumatisé.
En fait, le personnage de Hein dévoile une face cachée : la passion quasi secrète qu’il voue depuis des années à l’œuvre de Friedrich Wilhelm Weiskern [de Weisser Kern, le noyau blanc] – un artiste du XVIIIe siècle totalement oublié qui fut pourtant l’un des librettistes de Mozart et l’un des premiers cartographes de Vienne. Quand bien même ce sujet de recherche « ne sera jamais ni publié ni rémunéré », cette « marotte coûteuse » et non rentable aux allures de Graal serait-elle le noyau dur de sa vie malmenée, la véritable fidélité dont Stolzenburg soit capable et finalement, sa seule garantie d’existence ? Un peu comme si en éprouvant sa solitude, sans filets et sans public, elle seule pouvait relancer son désir d’exister gratuitement, pour rien, à l’opposé du comportement égoïste, calculateur et dur qu’il s’est forgé.
Il entre beaucoup de justesse dans le récit dépourvu de moralisme mais non d’ironie mené par Christoph Hein, dans sa souple et très vivante narration tout empreinte d’une réflexion sur les transactions plus ou moins faussaires, amoureuses et marchandes, du monde contemporain. Un jour, un inconnu rentre en contact avec Stolzenburg pour lui vendre des originaux de Weiskern. Tandis que s’enclenche une enquête policière, un de ses étudiants tente de le corrompre : prêt à tout pour révéler au public les œuvres complètes de son auteur inconnu, le professeur se laissera-t-il acheter ? Dans Paula T. une femme allemande, l’héroïne avait peint une toile – un paysage blanc – d’emblée suspecte aux yeux des critères préétablis du réalisme socialiste, qu’elle ne put pour cette raison même jamais montrer au public de RDA. Nouvel et troublant avatar de ce tableau à l’heure d’internet et de l’accélération du temps, « le noyau blanc » de C. Hein laisse symboliquement entrevoir une forme possible d’intégrité, la part à la fois inaccessible et irréductible qui fonderait la conscience de la liberté et le sens d’une vie.

Sophie Deltin

Le Noyau blanc, de Christoph Hein Traduit de l’allemand par Nicole Bary, Métailié, 280 pages, 21

Un homme sans garantie Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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