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Intemporels Road movie

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Didier Garcia

Dans La Montagne en sucre, le romancier américain Wallace Stegner fait le portrait d’un éternel insatisfait.

La Montagne en sucre

Il y a ceux qui trouvent ce qu’ils cherchent à deux pas de chez eux, sans même se donner la peine de chercher, et il y a ceux qui n’ont pas assez d’une vie pour seulement entrevoir l’objet de leur quête. Bo Mason, un des protagonistes de ce roman d’apprentissage paru en 1943, est bien de ces derniers (il est même pire que la plupart : deux vies ne lui auraient probablement pas suffi). Son destin est de « poursuivre des mirages » – et d’entraîner ses proches dans sa course folle.
Lorsque le roman s’ouvre, la jeune Elsa vient de larguer les amarres, abandonnant derrière elle la maison familiale et une partie de ses origines norvégiennes. Quelques dizaines de pages plus loin, elle tombe sur Bo, qui lui tape tout de suite dans l’œil. La Montagne en sucre donne alors à lire l’histoire de cette relation amoureuse, puis le destin d’une famille, avec l’arrivée de Chet et de Bruce (les deux garçons nés de cette union), famille arrimée aux coups d’éclat de Bo et à son étrange façon de voir la vie.
On pourrait dire que ce héros américain n’aura eu qu’un seul rêve, après lequel il se sera obstiné à courir : se trouver une petite affaire en or qui lui aurait rapporté suffisamment de billes pour ne plus jamais avoir à travailler. Mais cette « fortune rapide » qu’il appelait de ses vœux se sera toujours refusée à lui, car plus il se rapprochait de ce qu’il cherchait et plus ce qu’il cherchait s’éloignait.
Le roman progresse donc au gré des projets que Bo met inlassablement sur pied, des projets rendus possibles par cette jeune Amérique de la conquête de l’Ouest, mais qui s’avèrent parfois illégaux, comme son commerce de whisky en pleine prohibition qui faillit lui offrir un séjour en prison. D’après les critères du plus jeune de ses fils (l’aîné est mort à l’âge de 23 ans), cet homme qui « ne se connut jamais lui-même », ne sut jamais se satisfaire de ce qu’il avait et qui « vécut dans le rejet du temps présent » pour ne penser qu’à l’avenir, ne fut « ni un bon époux ni un bon père » (ce qui ne l’empêche pas d’être un des protagonistes les plus attachants de ce grand roman – la littérature offre parfois à ces héros malheureux de beaux lots de consolation).
Comme le reconnaît un de ses fils, avec Bo c’était toujours plié d’avance : « on se cassait la tête pour s’en sortir, et puis quelque chose foirait. » Un jour, une voiture flambant neuve faisait son apparition dans le garage et quelques jours plus tard il leur fallait aller à pied, la valise à la main… La famille repartait alors courageusement à zéro (Bo ayant le mérite de ne jamais baisser les bras) : « Ils emménageaient, tournaient un moment tel un chien qui va s’allonger, et puis ils déménageaient une fois encore sans pouvoir jamais imprimer aux lieux la qualité de leur propre vie. » En trente ans, cette famille se sera ainsi installée dans deux pays, aura vécu dans une dizaine d’états américains, et dans cinquante maisons différentes. Une vie d’errance qui aura durablement façonné l’esprit de Bruce, puisque ceux qui passent toute leur vie au même endroit lui paraissaient « suivre un cheminement incertain entre ennui et contentement ».
Avant d’entrer dans ce roman d’apprentissage, qui s’étale sur les trois premières décennies du XXe siècle américain, on se demandait ce que pouvait bien être cette montagne en sucre annoncée par le titre. Une montagne de bonbons, façon Hansel et Gretel ? Un rêve de gosse ? Quelque chose qui n’existe pas, et donc d’inaccessible ? L’incarnation de l’american dream ? La réponse se sera fait longtemps attendre. Pour Bruce, c’était tout simplement l’endroit où il se serait enfin senti chez lui, et où il aurait alors définitivement cessé de chercher : « ce lieu d’une inconcevable beauté qui avait attiré toute la nation vers l’ouest, cette contrée où une terre grasse laissait sourdre la richesse et où, des cieux, tombait de la citronnade ». Une terre promise que même cette Amérique mythique ne pouvait leur offrir.
Tant pis si, pour les quatre membres de la famille, une telle montagne accouche difficilement d’une souris. Pour le lecteur elle aura donné naissance à une belle somme romanesque. Un roman bien ficelé, rigoureusement classique dans sa composition (même si le protagoniste change plusieurs fois d’identité), porté par une intrigue simple mais efficace (elle se contente de suivre le passage du temps, sans jamais s’essouffler, à l’instar de Bo), et qui dresse un portrait tout en nuances d’une Amérique en pleine construction (loin de l’american dream et de ses clichés). Ce qui n’est déjà pas si mal.

Didier Garcia

La Montagne en sucre, de Wallace Stegner, traduit de l’américain par Éric Chédaille, Gallmeister, 848 pages, 13

Road movie Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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