L’ouvrage de Claude Régy est paru en même temps que sa dernière mise en scène (Rêve et folie, du poète Georg Trakl) s’installait au théâtre des Amandiers à Nanterre. Du régal pour les vautours est une traversée paisible et enchantée, une déambulation lente et calme à travers son univers, qu’il évoque ses auteurs fétiches – Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Tarjei Vesaas, Jon Foss –, ou quelques souvenirs d’enfance, des considérations sur la vie, la mort, le taoïsme, ou les sensations très fortes que lui procure la vision des tableaux de Münch.
Le lecteur le retrouve tel qu’il l’a laissé à la fin de son dernier ouvrage, La Brûlure du monde. Il reprend avec lui une conversation à peine suspendue, une conversation qui bien sûr revient encore et toujours sur le théâtre, sur la mise en scène, sur la présence du public, et sur cette tentative de comprendre ce qu’il est fondamentalement : « J’essaie d’entraîner le théâtre dans une zone qui se situerait au-delà du monde visible, du monde évident, du monde concret, du monde qu’on nomme réel. C’est explorer un univers qui se situe hors de nos habitudes de pensée. » Et d’aller chercher du côté des commencements : « Il m’arrive souvent de dire aux acteurs d’essayer de s’imaginer que la langue n’a pas encore été inventée, que la langue n’existe pas. Donc, d’inventer comment commencer à parler. » Il s’agit là d’une expérience à la fois intime et universelle, d’un voyage partagé par tous ceux qui le même soir, et dans la même salle profonde, vivent ensemble le silence et l’obscurité d’où vont bientôt naître la lumière et la parole. Nous sommes dans l’ordre de la cérémonie, presque du religieux, comme si pour surprendre l’indicible, chacun devait totalement faire abstraction de soi et de son corps pour se fondre dans un ensemble plus vaste. « Il faut que l’acteur fasse percevoir à la fois quelque chose de la vie, quelque chose du fait d’exister, et en même temps quelque chose qui représenterait l’absence du fait d’exister. » Le texte est clair, il s’y dégage une sensation de plénitude, et l’on prend un grand plaisir à suivre Régy, à naviguer avec lui, loin de la sensation d’étouffement, de confinement que ses spectacles peuvent parfois provoquer. Et le film qui accompagne le livre prolonge cette méditation. Alexandre Barry, très proche collaborateur du metteur en scène, le filme et l’accompagne dans son travail et dans sa vie. De très gros plans, des mains, des visages, un rideau qui se ferme, des lueurs, des nuages, des extraits de spectacle, et la voix off de Claude Regy. Il y a là à la fois un hommage rendu au maître de 93 ans, mais aussi comme un album de famille que nous parcourons pour pénétrer un peu dans son intimité. Calmement : « Je pense qu’on ne peut créer rien de valable sans passer par un calme profond en soi. Un calme qui est une communication avec soi-même. Dans le silence infini. » Le titre du livre, et du film, fait référence à un petit texte étonnant qui salue un rapace d’une étrange manière : « Un oiseau qui a un cri très particulier et qui est connu pour dévorer les cadavres. (…) Et c’est une grande leçon pour les hommes d’être considérés comme de la nourriture propre à satisfaire les papilles des vautours. »
Parallèlement, les Solitaires intempestifs publient l’ensemble de ses écrits parus entre 1991 et 2011 et regroupés ici en un seul volume, Écrits. Ces cinq textes courts nous permettent de suivre au fil du temps le parcours exigeant de Claude Régy et d’en constater la cohérence.
Patrick Gay-Bellile
Du régal pour les vautours (+ Dvd),
de Claude Régy
Les Solitaires intempestifs, 96 p., 19 €
Théâtre Le sage et le silence
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Patrick Gay Bellile
Dans Du régal pour les vautours, livre de réflexions, Claude Régy poursuit inlassablement sa quête d’un absolu.
Un livre
Le sage et le silence
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°178
, novembre 2016.