Récit dense et intimiste, Courir à l’aube est impressionniste de la plus belle des manières. Confrontée à une catastrophe apocalyptique, une femme seule et solitaire tente de survivre au présent. Elle examine le monde qui l’entoure d’après son ressenti, tente de faire face au deuil, à la perte des repères. Si le projet du personnage, qui tient un journal, est limpide, sa mise en œuvre lui impose un flottement permanent, que l’écriture ne parvient pas toujours à supprimer : « Ecrire n’éclaircit rien. Ne résout rien. Qu’entreprendre de mieux ? » Perdue dans un espace intérieur infini et presque angoissant, elle cherche dans les réactions des survivants un sens à donner à ses visions cauchemardesques : « J’ai vu cette femme aux cheveux en flamme qui courait, folle, aveugle ». Bien sûr, il y a cette course à pied matinale et quotidienne, qui permet de se vider l’esprit. La succession des pas semble avoir la même fonction que l’alignement des mots sur la page : s’éloigner encore et encore d’un point zéro, sublimer par la création, par l’engagement intellectuel ou physique, le chagrin de la perte. Au fil de ses sorties, la narratrice croise quelques rescapés en déréliction, des enfants inquiets. Mathieu, un grand brûlé, a choisi de se produire dans la rue comme un artiste de body art. Il cumule les happenings, « cérémonies pathologiques et exutoires » désespérées. La joggeuse, elle, poursuit ses réflexions sur l’art cathartique, la fonction des mémoriaux, la résilience à l’échelle d’une société entière. De longues discussions avec un ami psychiatre lui apportent un peu de stabilité et de chaleur humaine. Pour Frédérique Germanaud, la vie et l’art sont intriqués, indissociables. Les fêlures de l’une alimentent la création. Chaque œuvre soigne : « Des lésions, des amnésies, des insomnies, des hypersomnies. Des phobies. Je cours, j’écris, je regarde par la fenêtre. » Une course éperdue qui donne, presque au dernier moment un avantage à l’art, le seul à même de s’abstraire du temps.
F. M.
Courir à l’aube de Frédérique Germanaud
La Clé à molette, 136 pages, 14 €
Domaine français Courir à l’aube
janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°179
, janvier 2017.