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Domaine étranger Dans le labyrinthe

février 2017 | Le Matricule des Anges n°180 | par Thierry Cecille

À la recherche de son père disparu, Hisham Matar est en quête de sa propre mémoire et de celle de son pays, la Libye. Bouleversant.

La Terre qui les sépare

Le pays qui sépare les pères des fils a désorienté plus d’un voyageur. Il est très facile de s’y perdre. Télémaque, Hamlet, et d’autres fils innombrables, dont le drame intime égrène les heures de silence, ont vogué si loin et parcouru de si longues distances entre le passé et le présent qu’ils semblent pour toujours à la dérive. Ce sont des hommes qui, comme leurs semblables, sont venus au monde par le biais d’un autre homme, un mentor, qui leur a ouvert la porte, et qui, s’ils sont chanceux, l’a fait avec douceur en leur adressant peut-être un sourire rassurant et en posant sur leur épaule une main encourageante. » Hisham Matar eut cette chance : durant son enfance, un père admirable et héroïque, « quintessence de l’indépendance  », lui ouvrait les yeux sur la vie et en même temps le guidait, avec sagesse et bienveillance. Mais cette main, durant toutes ces années posée sur l’épaule, s’est retirée, le père a disparu. Le fils ne peut dès lors pas vivre pleinement, angoissé qu’il est en permanence par cette disparition, écartelé entre l’espoir du retour et l’annonce de la mort définitive. Ce pays qui les sépare désormais serait un désert, s’il n’était peuplé des fantômes du souvenir.
Après deux romans déjà salués, Hisham Matar nous livre un récit autobiographique bouleversant d’intelligence et d’émotion, qui permet en outre au lecteur d’un peu pénétrer son pays d’origine : la Libye. Alors que la guerre civile y fait encore rage, que l’on s’interroge sur la nécessité et la légitimité des interventions occidentales qui ont accéléré la chute de Kadhafi, nous pouvons trouver ici des éléments de réponse.
Le père d’Hisham Matar, en effet, d’abord enthousiasmé par le coup d’État qui porta Kadhafi au pouvoir en 1969, fut nommé ambassadeur à New York (où naquit le romancier, en 1970), mais prit rapidement ses distances avec le régime. Opposant de plus en plus déterminé, il dut s’exiler en Égypte, où il consacra sa fortune à préparer la chute du dictateur, jusqu’à financer l’entraînement de troupes armées. Sans doute avec la complicité du gouvernement égyptien, il fut enlevé au Caire en 1990 et conduit en secret dans les geôles libyennes. Sa famille reçut, rarement et par des canaux hasardeux, quelques lettres – puis ce fut le silence. En juin 1996 eut lieu, dans la prison d’Abou Salim, un massacre de prisonniers politiques qui fit 1270 victimes. Le père d’Hisham Matar, qui fut détenu dans cette prison, a-t-il été exécuté ce jour-là ? A-t-il été transféré dans une autre prison ? A-t-il, depuis lors, survécu ? Où se trouve-t-il donc ? Ces questions taraudent le narrateur depuis des années, quand la fin du régime lui permet de retourner en Libye – rappelons que Kadhafi fut lynché en octobre 2011 dans la ville de Syrte où il avait cru pouvoir compter sur des fidèles.
Le récit commence donc en mars 2016, quand Hisham Matar, accompagné de sa mère, prend l’avion au Caire en direction de Benghazi. Alternent alors les épisodes de cette expérience, dans la capitale puis à Ajdabiya, berceau de la famille, et de nombreux retours en arrière racontant le destin du père et celui du fils : son exil à Londres, certaines étapes de sa carrière d’écrivain et, la notoriété venant, ses combats pour obtenir au moins quelques informations sur son père et d’autres membres de sa famille. Les scènes de retrouvailles avec l’oncle Mahmoud, libéré après vingt et un ans d’emprisonnement, nous font admirer l’inflexible détermination de ces résistants. Son cousin Hamed, lui, après avoir participé aux combats pour s’emparer de Tripoli, rejoint les rebelles syriens, affirmant seulement : « Nous devons abattre ces dictateurs  ». L’évocation du grand-père nous fait remonter à la Libye colonisée par l’Italie, quand le régime de Mussolini, bien avant Guernica, n’hésitait pas à bombarder et gazer des villages et à envoyer les rebelles dans des camps de concentration. Hisham Matar parvient parfaitement à tenir ensemble les fils mêlés de ce tissu complexe, et ceci avec une voix toujours retenue, une écriture d’une belle précision et d’une poésie discrète, sensible, sans doute parfaitement rendue par la traduction d’Agnès Desarthe. Lui qui avoue sa « passion de fou furieux pour le déracinement  » doit, sur cette terre natale, affronter, peu à peu, les indices qui rendent la mort du père plus probable. Il aurait voulu, comme Télémaque chez Homère, « être le fils de quelque homme heureux qui pût vieillir sur ses domaines » – mais cela, comme à des milliers d’autres victimes de l’Histoire monstrueuse, ne lui sera pas accordé.

Thierry Cecille

La Terre qui les sépare, d’Hisham Matar
Traduit de l’anglais par Agnès Desarthe,
Gallimard, 328 pages, 22,50

Dans le labyrinthe Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°180 , février 2017.
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