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Intemporels Espoirs déçus

février 2017 | Le Matricule des Anges n°180 | par Didier Garcia

Dans ce huis clos new-yorkais, Bernard Malamud (1914-1986) met en scène un modeste épicier juif trompé par le rêve américain.

Dans les premières pages du Commis (en gros jusqu’à l’entrée en scène plutôt virile de l’Italien Frank Alpine, le protagoniste inattendu de ce roman), trois membres d’une même famille juive (émigrée de Russie) se partagent les premiers rôles : Morris Bober, sa femme Ida, et leur fille Helen.
Morris donc, tout d’abord. C’est lui qui tient à bout de bras, depuis vingt et un ans, une épicerie de quartier située quelque part dans Brooklyn. Un commerce qui lui donne tout juste de quoi survivre, puisqu’à 60 ans il est plus pauvre qu’à 30. On pourrait dire de lui qu’il a tout du Juif maudit : « On ne peut pas s’appeler Morris Bober et être riche. Un nom pareil est inconciliable avec la notion de propriété : comme si c’était dans votre sang et votre histoire de n’avoir rien. » Pour lui, le monde se résume à sa triste boutique et à ses environs immédiats, autrement dit ses voisins (dont une épicerie de luxe, qui lui chipe sa clientèle). D’ailleurs, le jour où des circonstances exceptionnelles le propulsent loin de chez lui, la surprise est de taille : « Après avoir dépassé le coin, il s’arrêta, accablé à l’idée d’avoir à choisir une direction ; il avait oublié qu’il existait tant de rues et tant d’endroits où aller ». Quant à sa vie, elle tient surtout de l’ascèse, mais sans la moindre pratique religieuse. La malchance s’achar- ne sur lui avec une belle constance, car lorsque la providence paraît enfin vouloir lui donner le petit coup de pouce dont il a besoin, il y a toujours un obstacle imprévu qui vient se mettre en travers de sa route. Au soir de sa vie, le bilan qu’il dresse est amer : il « n’avait pu subvenir aux besoins de sa famille comme il l’aurait voulu – c’était sa honte. » En d’autres termes, il a sacrifié toute sa vie pour rien : « les années avaient passé, inexorables, sans rien lui laisser ». Seul le rabbin, au cours de son oraison funèbre, fera de lui « le meilleur des hommes ».
D’Ida, son épouse souvent bougonne et plus jeune que lui de neuf ans, il y a peu à dire. Pareil pour Éphraïm, leur fils mort on ne sait trop de quoi. C’est Helen qui retient le plus l’attention. D’abord elle est belle. Pour ne pas dire désirable. Et puis elle lit Tolstoï, Dostoïevski, et elle aspire à étudier la littérature à l’université. Mais au lieu de suivre des études elle travaille dans un bureau, où elle s’ennuie ferme, devant même sacrifier une partie de son salaire pour aider à payer le loyer. Dans un passé récent, elle a fréquenté un certain Nat Pearl, qui pourrait bien devenir avocat et lui procurer un bel avenir.
Sans l’intervention de Frank Alpine, goy et bad boy à la fois, il n’y aurait pas de roman : les Bober poursuivraient leur petit bonhomme de chemin jusqu’à ce que la mort empoigne l’un ou l’autre. Lorsque Frank fait irruption dans cette histoire, c’est plutôt pour le pire : en compagnie d’un autre malfrat, il agresse l’épicier et lui vole les quelques dollars que compte alors sa caisse, mais contrairement à son coéquipier, il en éprouve aussitôt du remords (même au cœur de l’action il a déjà conscience de commettre « la plus grande sottise de sa vie  »). Dans le but de se racheter (et profitant de la convalescence de Morris, après un malaise qui le contraint à garder le lit), il va se mettre au service des Bober, offrir à l’échoppe quelques semaines d’embellie, tenter de séduire Helen et lui offrir les études auxquelles elle rêve. Mais en oscillant en permanence entre le bien et le mal, sa rédemption sera elle aussi laborieuse (il ira quand même jusqu’à lire l’Histoire des Juifs et se convertir).
Dans cette fable morale, l’épicerie est l’épicentre d’un monde replié sur lui-même, ne s’ouvrant guère que sur la bibliothèque et le parc voisins pour de rares escapades sentimentales. Mais toutes les pensées, celles du lecteur y compris, se rapportent à ce microcosme. Tout se joue donc dans une sorte de huis clos permanent, aux allures finalement plus théâtrales que romanesques.
Loin du cliché du riche commerçant juif, et plus encore du rêve américain (comme le dit un second couteau de cette histoire : « Dieu aime les pauvres, mais il aide les riches »), Le Commis (publié en 1957) aurait tout de la tragédie classique (il en a la beauté parfois aride et désespérée) si, en lieu et place des personnages nobles habituels, Malamud n’avait choisi de jeter sur la scène ces pauvres gens constamment dans la déveine, qui cherchent un salut que la vie leur refuse. Ce qui les rend forcément attachants. Et suscite toujours l’empathie du lecteur. Laquelle lui fait dévorer ce roman dans l’espoir de jours meilleurs.
Didier Garcia

Le Commis, de Bernard Malamud
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
J. Robert Vidal, Rivages, 304 pages, 21

Espoirs déçus Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°180 , février 2017.
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