Une commune : Retourner l’effondrement, tentative 1, épopée ouvrière
Guillaume Cayet nous parle d’un pays, celui où il est né. Un pays de forêts, de mines, de tradition ouvrière, un pays de petites communes aujourd’hui abandonnées. Un pays dont il fait un pays imaginaire, le Voraltewelt, et qui ressemblerait peut-être à la Lorraine. Parce que la main-d’œuvre était moins chère ailleurs, les mines ont fermé. Les hommes et les femmes sont restés mais la vie lentement s’est retirée, cachée au fond des maisons. Le passé gît au fond des mémoires mais il n’y a plus personne pour l’exploiter. Et puis un jour, vingt-cinq ans après son départ, revient Monsieur Vivien. Le propriétaire des mines. Il se propose de rouvrir l’entreprise, de procéder à de nouveaux forages, de chercher du gaz de schiste, de redonner au village sa vie d’antan : « Revivre au temps des mines, réhabiter la terre, cette terre que nous chérissons tant. » C’est un coup de tonnerre. Il y a ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre, les clivages traversent les générations, les familles, les couples, le politique se mêle à l’intime, le passé renaît avec ses traditions de luttes et d’organisation. Le conseil municipal se réunit, débat et approuve de justesse le projet.
Rapidement, les premières conséquences : désastreuses. Des nouveaux forages révèlent les véritables enjeux : les poissons meurent, l’eau du robinet devient rouge et Ingrid oublie de mettre du sucre dans ses pancakes. Mais les jeunes eux-mêmes, puisque le passé réapparaît, envisagent un avenir. Ils se rêvaient super-héros, chasseurs de zombies ou tuaient le temps en tirant sur des canettes vides, ils sont maintenant partie prenante des choix qu’il faut faire.
C’est un théâtre épique pour vingt-sept personnages. Un théâtre plein de poésie, de rebondissements, de cris et de rires. Les scènes chorales alternent avec des moments plus intimes, plus serrés. Pas de clichés ruraux ou d’oppositions simplistes, mais une vraie descente au cœur de la terre, une radiographie d’une population qui réfléchit, analyse, propose et finalement prend son destin en main en fondant une Scop, « L’Éternité par les Astres visant à la sauvegarde d’une économie locale ».
Ça, c’est le premier volume, Une commune. Le deuxième, Dernières pailles, se passe toujours dans le Voraltewelt. Les agriculteurs ont du mal à faire face à la sécheresse, la récolte s’annonce médiocre, et voilà que le maire propose de classer les terres agricoles en zone constructible. Il suffira d’en vendre un morceau pour payer les dettes. Cette fois, deux foyers sont face à face. Deux frères. L’un n’a pas quitté le pays, l’autre est revenu à la mort du père. Ils portent des regards différents sur la situation. Ne pas y toucher ? Ou bien profiter de l’aubaine pour se renflouer et voir venir des jours, peut-être, meilleurs. Là encore, les événements forcent les portes de l’intime. Comme si les bouleversements du monde extérieur faisaient entrer en vibration les corps et les âmes, comme si la terre elle-même déléguait sa défense à ceux qui en vivent. L’écriture est riche, rythmée, parsemée de slashs et de tirets pour dire la pensée interrompue, la phrase qui se perd ou le chevauchement des paroles. L’italique nous livre des voix intérieures. L’auteur invente même un pronom personnel « illes » pour rendre au féminin une place égale.
Un nouvel opus doit prochainement venir compléter la trilogie. Pour nous replonger peut-être au cœur du Voraltewelt, (« le Vieux Pays »).
Patrick Gay-Bellile
Une commune, Retourner l’effondrement tentative 1, de Guillaume Cayet,
144 pages, 16 €
Dernières pailles, Retourner l’effondrement tentative 2,
96 pages, 14 €, Éditions Théâtrales