Mars 2077, politique-fiction. Les pages du Pléiade de Jean d’Ormesson ont été recyclées et composent désormais l’intégrale de L’Autofictif d’Éric Chevillard. Il faudrait un papier aussi précieux que du papier bible pour abriter cette arche de Noé, aussi léger, aussi. Car L’Autofictif est un drôle d’animal, une éphéméride. Jour après jour l’auteur y refait le monde à sa façon, le repeuplant de loups et d’orignolles, d’ornithorynques ou de manchots ; jour après jour il le défait, esquivant les confidences trop intimes des diaristes et le compte-rendu banal. Oh bien sûr, on y roule un peu sa bosse (Mexico DF, la Guadeloupe, Dijon, le château de Branle), l’on y croise du monde (des énergumènes en kalachnikov et les dents de Houellebecq), mais qui voudrait se replonger dans l’année 2015-2016 ne s’y retrouverait pas tout à fait.
C’est le neuvième volume de L’Autofictif, le même livre et un autre, que les huit précédents. Il s’appelle L’Autofictif à l’assaut des cartels. Il est à peine plus âgé que les deux petites filles, Agathe et Suzie, qui donnent – et souvent piquent – la réplique à l’écrivain. Il est aussi raisonneur et poète qu’elles, forge des maximes, ironise tous azimuts, manipule calembours et « colis bris », fait retrouver leurs couleurs aux expressions. À ceux qui préfèrent les récits aux fragments, on ne saurait trop conseiller Ronce-Rose, paru au même moment chez Minuit : l’on y suit les péripéties d’une cousine potentielle d’Agathe et Suzie. Mais revenons à notre bestiaire. Sous ses allures d’anthologie, L’Autofictif est une invitation à s’émouvoir, s’irriter, se rétracter. Mi Prévert, mi Jules Renard. À considérer parfois les mots plutôt que les choses – choses rêvées plutôt que vues. Chevillard ne sauve peut-être pas le monde, mais il nous console, un peu, de sa folie. « Car chaque journée est un rêve incohérent qui ne se tient que grâce à la syntaxe. »
Chloé Brendlé
L’Autofictif à l’assaut des cartels d’éric chevillard
L’Arbre vengeur, 223 pages, 15 €
Domaine français L’Autofictif à l’assaut des cartels d’Eric Chevillard
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Chloé Brendlé
Un livre
L’Autofictif à l’assaut des cartels d’Eric Chevillard
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.