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Domaine français Vives visions d’Orient

mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181 | par Thierry Cecille

De 1838 à 1967, Philippe Videlier chronique, avec une sagace érudition, le destin d’une ville-mythe : Aden en Arabie.

Quatre saisons à l’Hôtel de l’Univers

À l’instar de ce que fit Alberto Manguel dans son Dictionnaire des lieux imaginaires, on rêverait d’une encyclopédie des lieux légendaires mais réels qui peuplent notre imagination (peut-être existe-t-elle déjà ?). Palmyre, Tombouctou (ceux-ci sont en voie de disparaître), Chandernagor et Pondichéry, Samarcande et Boukhara, ou cette sorte de triangle d’or que constituèrent, au tournant des XIXe et XXe siècles, Prague, Vienne et Budapest… Philippe Videlier apporte une première pièce à cet édifice sans doute babélien. C’est en effet à Aden qu’il nous conduit, cicérone toujours précis, truchement (comme on appelait jadis, dans l’Empire ottoman, l’interprète) dévoué à notre service – mais souvent sarcastique. Bien sûr, dès que ce nom d’Aden est prononcé, se lèvent pour nous la figure de Rimbaud, renonçant à la littérature pour se faire trafiquant ambitieux et harassé à la fois, et celle de Paul Nizan, quittant les turnes de la rue d’Ulm pour de plus vastes horizons dont il reviendra pour le moins désorienté. Nous les croiserons donc dans ces pages : les deux premières saisons sont celles qui les virent débarquer – mais deux autres saisons suivront.
Peut-être Philippe Videlier invente-il ici un genre : la biographie d’une ville (urbigraphie ?) – et, comme pour toute biographie qui se respecte, il ne peut raconter Aden sans l’inscrire dans une généalogie, dans une géographie. Il ne cesse alors de faire alterner les gros plans et les plans d’ensemble, la relation d’épisodes qui pourraient sembler anecdotiques, voire minuscules, et les mouvements historiques plus vastes. Sans doute a-t-il la volonté (mais nulle part il n’a la lourdeur de l’expliciter), en historien de métier qu’il est à l’origine, d’éclairer ce Moyen-Orient qui, aujourd’hui plus encore qu’hier peut-être, se déchire, et dont les conflits viennent, naguère très brutalement, frapper à notre porte.
Nous découvrons ainsi cet Hôtel de l’Univers, qui accueillit un temps Rimbaud, que « les indigènes sous ses ordres surnommaient Karani, qui veut dire le Méchant  » et le destin qui fut le sien, changeant à plusieurs reprises de nom et de propriétaire. Nous faisons la connaissance de « Monsieur Besse, dit A. B.  », qui eut la curieuse idée de recruter Nizan comme précepteur : « un homme très riche originaire de Carcassonne qui avait jadis œuvré chez Bardey, comme Rimbaud mais après Rimbaud, et prisait la poésie, comme Rimbaud mais sans le génie de la poésie  ». Nous croisons bien sûr Lawrence d’Arabie et son ami Fayçal, le roi d’Arabie, Nasser et les nombreux émirs et autres chefs de tribus qui tentent de se tailler quelques territoires (pétrolifères) – mais aussi d’autres personnages plus inattendus et non moins passionnants, tel le Kurde Khaled Bagdache « qui avait traduit en arabe le Manifeste de Marx et Engels » et tentait, entre Damas et Le Caire, de répandre, difficilement, l’évangile communiste. Videlier décrit aussi le quotidien trépidant de ce port où viennent mouiller paquebots et cargos, et où tente de survivre (pour certains, rares, de s’enrichir) une population hétéroclite, cosmopolite : « Juifs, Banians, Somalis, Égyptiens, Afghans, Parsis, Bohras, et Seedees africains  ». Il consacre en particulier de belles pages aux Juifs qui, suite à près de deux mille ans de présence, durent s’exiler quand des pogroms éclatèrent, lors de la création de l’État d’Israël puis de la guerre des Six Jours. Il décrypte également, en arrière-plan, les impératifs et les tactiques de la colonisation britannique : la ville est conquise en 1838 pour sécuriser et rentabiliser ce port sur la route maritime des Indes. Il évoque Sykes et Picot dont « les crayons sur une carte partagèrent l’Orient en deux moitiés : A bleu, B rouge  » aussi bien que la rencontre sur l’USS Murphy qui vit Roosevelt, malgré qu’il en ait, s’allier avec l’Arabie des Saoud. Enfin nous voyons se succéder les essais ratés de démocratisation et les coups d’État plus ou moins violents de dictateurs plus ou moins cruels.
Même une fois l’indépendance acquise, Aden ne connut guère la paix car « la haine accomplissait des prodiges  ». Et aujourd’hui encore, sans doute, sur les cadavres des bombardements, les « mouches éclatantes » de Rimbaud « bombinent autour des puanteurs cruelles ».

Thierry Cecille

Quatre saisons à l’Hôtel de l’Univers,
de Philippe Videlier
Gallimard, 487 pages, 23

Vives visions d’Orient Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°181 , mars 2017.
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