C’est le récit biographique d’un jeune Mexicain, témoin de la grande et de la petite Histoire. Tout commence par un drame familial : le petit Galo assiste à une dispute sanglante entre son père et sa mère, ainsi qu’au départ de son père. Le don Juan lui avait prédit qu’« il serait menuisier ou rien ». Soit : Galo ne sera rien. Il s’installe sur une chaise et se jure de ne jamais plus sortir de chez lui. La location des pièces libres depuis la séparation du couple donne lieu à un défilé de personnages au destin exceptionnel. La Seconde Guerre mondiale ravage alors l’Europe. Pour fuir l’oppression nazie, Ana, une adolescente accompagnée par son père et son grand-père, est venue se réfugier chez Galo. L’enfant comprend la détresse de ce vieux parfumeur juif de Berlin, exproprié à la faveur de son collaborateur aryen et contraint à l’exil pour échapper à la mort. Sur place, tout n’est pas rose et l’antisémitisme rampant touche aussi une partie des Mexicains. En témoigne le comportement du curé : « Ces gens vont finir par envahir toute notre colonia et toute notre ville ». Plus tard, c’est un républicain espagnol qui loge chez Galo. Dans son salon de coiffure baptisé Guernica, il accueille ses compatriotes et d’autres victimes de la barbarie mondiale. Galo abrite même un révolutionnaire argentin, asthmatique, idéaliste, dont le nom n’est jamais cité mais qui rappelle fortement Che Guevara. Avec une grande finesse et des passages très poétiques, Sergio Schmucler aborde des thèmes difficiles. Le déracinement, le deuil, la culpabilité de ceux qui ont survécu à l’oppression, mais aussi la position parfois ambiguë des émigrés européens face aux autochtones : « Si nous tenons à rester c’est parce que tandis que là-bas nous redeviendrions de simples pékins, ici nous sommes des rois du seul fait que nous avons la peau blanche et les yeux verts ou bleus ». Avec des petits riens, Sergio Schmucler, lui-même exilé argentin au Mexique, emmène son lecteur dans une épopée immobile et humaniste vertigineuse. F. M.
Le Monde depuis ma chaise de Sergio Schmucler
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Dominique Lepreux, Liana Levi, 187 pages, 17 €
Domaine étranger Le Monde depuis ma chaise
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.