Un nouveau monde (Poésies en France 1960-2010)
On en rêvait d’un tel ouvrage, d’un livre qui poserait un regard à la fois historique et anthologique sur les écritures de poésie en France durant le dernier demi-siècle. Eh bien, deux poètes ont relevé le défi et l’ont fait, Isabelle Garron et Yves di Manno, qui dirige par ailleurs et depuis plus de vingt ans, la collection « Poésie/Flammarion ».
Poésies – au pluriel – en France. 1960-2010, annonce le sous-titre. Car durant ces cinquante ans, la poésie s’est si profondément transformée que c’est un nouveau monde, comme le baptisent les auteurs, qui a émergé dans le champ littéraire français. Il est né d’intenses bouleversements, de mutations dont ils examinent les tenants et les aboutissants dans le petit essai, titré Vestibule, qui ouvre le volume, et dont ils détaillent ensuite l’historique au fil d’une petite trentaine de chapitres s’attachant chacun à un moment précis ou à une inflexion majeure de cette histoire plurielle. Chaque chapitre s’articule autour des poètes et/ou de la – ou les – revues qui participent de cette étape du parcours. Dans ce cadre, chaque poète (au total ils sont plus d’une centaine) a droit à une notice présentant de manière détaillée sa démarche et son œuvre, qui est illustrée par un assez large choix de textes : entre dix et vingt pages. De plus, pour chaque décennie, une rubrique intitulée « Quelques solitaires » rassemble des poètes singuliers dont le parcours s’inscrit hors d’un courant ou d’une aventure collective, comme, par exemple, Jude Stéfan, dont l’œuvre est particulièrement représentative d’une poésie réinventée « sur les ruines applaudies de l’ancienne ». Deux axes structurent donc l’ouvrage : l’histoire et l’anthologie. L’histoire qui, sous la forme d’un récit séquencé en chapitres, trame la toile de fond sur laquelle la partie anthologique, les textes reproduits, apparaissent comme autant de gros plans ou d’arrêts sur images, proposant ainsi au lecteur l’occasion de maintes découvertes.
On sent bien que les auteurs de cette anthologie font de la beauté incongrue ou déroutante le devoir premier du poème.
L’immense intérêt de cette véritable somme, qui rend visible ce qui ne pouvait l’être sans le recul de la distance, est d’éclairer la singularité des voies empruntées par les poètes suite à « la grande révolution moderne », celle qui, dans la ferveur et la révolte, prônait – par-delà la volonté de donner forme à l’informe et d’ouvrir à l’inconnu – le rejet de la tradition, l’abandon de la métrique ancienne, l’emploi d’un vers qualifié de « libre », ce qui ne pouvait que bouleverser les principes, les méthodes et les visées du geste créateur. À la source de cette rébellion-révolution – visible déjà chez Rimbaud (« Les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles ») et en partie mise en acte par le surréalisme (« en partie » parce qu’il a occulté la question du vers, des formes poétiques) – il y a l’idée que le travail créateur participe, par le biais du langage, à la...