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Domaine français Au bord du rire et de la mort

avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182 | par Richard Blin

Deux livres pour (re)découvrir Michel Ohl (1946-2014), son acharnement à se détacher de tout, son funambulisme verbal et sa verve délirante.

Petites scènes de la vie en papier

La Poule pond (suivi de) Sonica mon lapin

Il y a des livres indispensables à l’hygiène de nos esprits endormis, des livres qui nous conduisent là où règnent l’incongru, l’ivresse et cette forme d’humour ravageur où même la mort devient bouffonne. Les livres de Michel Ohl sont de ceux-là.
Quasi inconnu même si sa légende ne cesse de planer sur les Lettres depuis plus de quarante ans, Michel Ohl, né dans les Landes en 1946 et mort en 2014 après une douzaine de livres, des centaines de plaquettes et une vie vouée à la littérature, était de ces hommes pour qui rien n’est sacré. Ivrogne suicidaire et donquichottesque, il comparaît le temps d’une vie au trajet d’une chenille entre la maison natale et le cimetière. Convaincu de l’inutilité d’être, il eut deux activités de prédilection : la lecture et la boisson. « L’une pour occuper le cerveau, l’autre pour le déconnecter. »
Véritable bibliophage doublé d’une « bibliotête » – il a calculé qu’il avait passé le quart de sa vie à lire, et dit avoir lu comme s’il participait à des «  championnats de lisure » –, il connaissait admirablement la littérature russe, se délectait des écrivains polonais, adorait Swift, Rabelais, Jarry, Allais, Vian, Queneau, Roussel, Rigaut. Il était capable de lire Le Comte de Monte-Cristo uniquement pour compter le nombre d’occurrences du nom Monte-Cristo, et a toujours traité la littérature comme la matière d’un jeu, la source de détournements festifs et de parodies pataphysiques. La plupart de ses livres (dont on peut relire aujourd’hui le premier, Sonica mon lapin, et le dernier, La Poule pond, réunis en un seul volume, et dont Petites scènes de la vie en papier offre un judicieux florilège) sont composés de textes brefs dont le principe générateur est assez simple. Ils naissent d’une phrase lue dont Ohl va développer le potentiel suggestif, ou d’un titre qui, transformé par contrepèterie – La joie de vivre, par exemple, devient La voie du givre – amorce à son tour le point de départ d’une histoire délirante. Des histoires où l’on croise Anna Karénine, Madame Bovary, Ohl lui-même ou des personnages qui perdent leur sang dès qu’ils se mettent à parler. D’autres où aller chez le boucher ou bien entrer dans une librairie devient une véritable aventure. D’autres encore où l’on croise la secte des Fuyards – « Qui fuis-je ? Où fuis-je ? Fuir ou ne pas fuir ? » – ou bien où il existe des saisons où les mots sont bannis.
C’est que les écrits de Ohl relèvent d’un monde parallèle, d’une étrange anamorphose de cette réalité qu’il aura habitée en passager clandestin. « Il ne m’arrive jamais rien : j’arrive avant. » Alors il imagine des rencontres, des dialogues ubuesques, de petits contes où il intègre des souvenirs d’enfance, des histoires honteuses « qui peuvent plus facilement passer quand elles sont mêlées à des histoires – honteuses ou non – lues dans des livres. » Quand il ne raconte pas ses rêves fous, il brocarde le carnaval du vivre à coups d’outrances et d’extravagances, de cascades de sarcasmes, d’effilochures de pensée – « Mon cocoricogito : je pense, donc je suis français ! » – ou d’acrobaties pataphysiques dont on sait qu’un des principes fondamentaux est l’équivalence : ce qui est sérieux est égal à ce qui ne l’est pas. Si bien que sous la plume de Ohl, le drame est vraiment drôle et le grotesque tout à fait sérieux. Ainsi les morts continuent de parler dans une langue universelle, le « mastaraglu », et le Royaume des Ombres, le Schéol – « Chez Ohl », nom qu’il donna à ses propres éditions – a des enclaves ici-bas.
Ohl, c’est l’impossible éprouvé jusqu’au fou rire, c’est l’inconvenance truculente, le jeu de mots pour le jeu de mots – « La Terre est ronde parce qu’elle boit trop ». Les mots, il les met en état d’ébriété, accumulant les équivoques, les ambiguïtés, les calembours – « Je vous salis ma rue. »  ; « Ta gueule la mère hic ! ». Anagrammes, télescopages de syllabes, avec lui le signifiant s’émancipe, la dérision côtoie le non-sens et l’absurdité devient un phénomène esthétique : « Les papillons sont des Jésus à la puissance 3. » Un mélange d’esprit potache et de pathétique – « Je pense à fond la caisse et jamais j’ai été foutu d’être. » – doublé d’une logique impitoyable. « Qui va à la chasse perd sa place de non-chasseur. » Oui, Michel Ohl est un redoutable raisonneur qui sait qu’« il vaut mieux attendre l’heure de l’apéritif que Godot parce que c’est encore plus dérisoire. »

Richard Blin

La Poule pond (suivi de) Sonica mon lapin, 120 p., 15 et Petites scènes de la vie en papier, La Table ronde, 256 p., 8,70 de Michel Ohl. Revue Capharnaüm N° 7, « Michel Ohl, catastrophe naturelle »,
Finitude, 13,50

Au bord du rire et de la mort Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°182 , avril 2017.
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