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Domaine français Jusqu’à l’os

avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182 | par Richard Blin

Autour d’une narratrice qui depuis qu’elle a perdu son père perd tout – à commencer par la capacité de conserver ce qu’elle aime –, Caroline Lamarche sonde le dedans de notre nature animale.

Dans la maison un grand cerf

Elle aime les émotions violentes, les situations où l’intensité s’approche de la limite, les thèmes qui, il y a peu encore, étaient jugés tabous par le radicalisme féministe, comme lorsqu’elle met en scène les relations homme/femme ou dominant/dominé, pour s’interroger sur ce que signifie vraiment être dominé(e), et donc être dominant(e). Son but : redécouvrir « la force d’une certaine faiblesse, le pouvoir d’une certaine soumission ». Et c’est encore à laisser venir cette part autre, à réinstiller du trouble là où règne le convenu que Caroline Lamarche s’attelle dans ce livre sauvagement à vif qu’est Dans la maison un grand cerf.
Un livre qui nous plonge dans l’espace dénudé du vivre, là où rien ne masque plus ce que l’amour et la mort peuvent engendrer de sensé et d’insensé. C’est une narratrice qui parle, qui revient sur un certain nombre de faits dont on découvre la cohérence secrète à mesure qu’elle s’enfonce dans le labyrinthe que chacun est pour soi. Un labyrinthe dont le Minotaure serait son père, né un lendemain de la Saint- Hubert, patron des chasseurs, ce « Maître du Sauvage » dont la légende dit qu’après avoir rencontré un cerf aux bois immenses entre lesquels se dressait un crucifix, il fut touché par la grâce et devint prince-évêque de Liège – d’où est native la narratrice – et guérisseur de la fureur noire, comme on appelait alors la rage. Un père érudit solitaire « filant obstinément sa pensée dans le brouhaha du monde » et portant « la blessure invisible de celui que personne n’écoute, qui a toujours trop d’idées ou des idées trop fines, négligées par l’entourage ». Amateur de généalogie, de pierres tombales anciennes, il faisait travailler les artistes, et était fasciné par « les héros élégants et sacrifiés ». Un père dont elle n’était pourtant pas la fille préférée, mais qu’elle chercha à retrouver en aimant neuf ans durant un homme qui lui ressemblait. « La mort de mon père m’avait plongée dans un pays glacé dont seul l’amour de M me sauvait, sa puissance addictive, ma docilité en réponse. »
Neuf ans durant lesquels elle dit avoir pensé tous les jours à son père « comme un antidote aux complications de l’amour ». Mais aux images de son père qu’elle revoit dans ses attitudes familières, s’est aussi juxtaposée, « pendant neuf ans sans l’abîmer », la vision de son corps se décomposant, et cette question obsédante : « Quand parviendrons-nous à l’os ? Question qui valait aussi bien pour l’amour, pour M et pour moi, je veux dire, qui nous dévorions mutuellement. » Car, ajoute-t-elle, « s’il est un sujet à traiter dans le sillage du père mort, c’est l’amour, me semble-t-il ».
Un sujet qui nous vaut des aveux dignes de l’absolu de l’amour. « Ce qui m’attire chez les hommes est résolument leur squelette. » « C’est cette éternité du squelette que j’aperçois dans l’amour, voilà pourquoi je n’aime pas les hommes trop doux, il faut, quand ils me touchent, que je sente mes os, autrement dit ce qui résiste et résistera pour des siècles, et moi il faut toujours que j’aille à l’os en les touchant, chose qu’ils apprécient, toi et ta force… »
Un roman qui interroge l’archaïque, ce qui est premier, ce qui fonde, impose sa loi à nos désirs. Donne voix aussi à la force désirante et déchirante du sauvage en nous, à ce rituel de la vie et de la mort qui est au fondement de la chasse. « Comme le chasseur chasse, tue et démembre, ainsi je le suppose avons-nous été chasseurs, M et moi, chacun poursuivant, abattant, démembrant l’autre et dans ce mouvement se poursuivant, s’anéantissant, se déchirant soi-même. »
La chasse comme métaphore du désir, de la quête, de l’amour, la narratrice la rencontrera encore en filigrane de l’amitié amoureuse qui la lie à un libraire-galeriste installé à l’enseigne de Saint-Hubert, et à travers une artiste qu’il lui présentera, peu avant de disparaître. Une artiste, Berlinde, dont le père était boucher et chasseur passionné, et dont les sculptures subliment la mort à travers la figure du cerf. « Bientôt l’œuvre fut prête. Son apparence de bête sacrifiée dont la chair, comme mystique, irradiait, avait surgi des cires translucides enveloppant un vide béant et sombre. » Toute la substance organique, chair, entrailles et poils, « disparue, mangée par l’amour et le travail d’une femme. C’était, transfiguré, un grand mort. » Une forme de conjuration cérémonielle où se reformulent les termes de l’éternelle tension entre Éros et Thanatos, sur fond de fascination pour une beauté qui touche parce qu’elle tient aux entrailles du vivant.

Richard Blin

Dans la maison un grand cerf,
de Caroline Lamarche
Gallimard, 136 pages, 12,50

Jusqu’à l’os Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°182 , avril 2017.
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