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Intemporels Noirceurs des cœurs

avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182 | par Didier Garcia

Robert Margerit (1910-1988) plante en Auvergne un huis clos oppressant, pour nous plonger dans les profondeurs de l’âme humaine.

Le Château des Bois-Noirs

Pour se rendre à Saint-Rémy-sur-Airain (bourgade imaginaire derrière laquelle se cache probablement Saint-Rémy-sur-Durolle), il faut prendre le train de Clermont-Ferrand jusqu’à Thiers, puis l’autobus de Thiers jusqu’à Saint-Rémy, et traverser ainsi une Auvergne pas toujours très hospitalière. Pour le lecteur, ce sera l’affaire de deux petites pages, mais pour Hélène, la protagoniste involontaire de ce roman, qui s’en vient de Paris, le déplacement aura été beaucoup plus coûteux, puisqu’il lui aura fallu préalablement abandonner une vie mondaine qu’elle ne détestait pas, épouser Gustave (un homme qu’elle croit riche et qui n’est guère qu’un hobereau), découvrir l’Italie lors d’un rapide voyage de noces, puis monter dans une vieille guimbarde pour venir se terrer à la Vernière, cette « maison de la mort » qu’elle découvre sous la pluie (une grisaille qui n’annonce rien de bon)… Autrement dit, pour Hélène : accepter une nouvelle vie, sans doute moins rose que la précédente. D’ailleurs, aux yeux de Fabien, le frère de Gustave (que les premières pages présentaient comme toujours absent), Hélène est courageuse : « C’est beaucoup pour une Parisienne de venir ici. » Le futur immédiat va malheureusement lui donner raison : en revenant s’installer dans la maison familiale (où vivent sa mère et des domestiques, dont Antoine, factotum peu avenant), Gustave a tôt fait de redevenir celui qu’il était avant de rencontrer Hélène, retrouvant, « avec ses vêtements paysans, une personnalité antérieure et insoupçonnée – un être vulgaire, obscur, inquiétant ».
Pour Hélène, la déception est de taille. En la personne de Gustave elle découvre un rustre, aux antipodes de l’homme élégant qui l’a fait consentir au mariage. Et un beau-frère nettement plus séduisant, lui que l’on donnait pourtant pour savant ou pour fou. Rapidement, son mari ne lui inspire plus que du dégoût : « Elle avait horreur de Gustave, de sa face vultueuse, de sa force contre laquelle elle se débattait en vain, de la crudité de son désir, de cette obsession qu’il avait d’elle et dont elle était écœurée, à la fin. » Une désillusion d’autant plus vive que Gustave supporte chaque jour moins bien la comparaison avec son frère, aux côtés de qui Hélène passe désormais le plus clair de son temps. Pour ce ménage à trois, l’ambiance devient irrespirable.
Le premier quart du roman à peine franchi, l’atmosphère se fait plus lourde. Poisseuse pourrait-on dire. La question n’est déjà plus de savoir combien de temps encore durera l’union entre Hélène et Gustave, mais qui, des deux frères, va se retrouver sur la touche, car le cœur d’Hélène bat désormais pour Fabien. Au fil des pages, on sent poindre la tragédie. On la devine prendre corps, s’étoffer, peaufiner ses contours, devenir de plus en plus évidente, et chaque jour plus inéluctable. La suite, on l’imagine sans peine. Mieux encore : on la connaît, sans avoir à la lire. Et pourtant, on l’attend avec une certaine anxiété, parfois même avec impatience, parce qu’elle est la seule délivrance possible pour tout le monde (le pire serait justement que plus rien ne se passe).
Le Château des Bois-Noirs
est un huis clos, au sein duquel le lecteur respire mal. On vit l’essentiel du roman prisonnier des pensées des personnages, passant d’une conscience à une autre, d’une souffrance à une autre, pour suivre en direct la vie intérieure de chacun, jusqu’à celle du commissaire, en laquelle cette tragédie va atteindre son paroxysme, révélant l’odieuse machination dont certains seront les victimes (pour préserver une part du suspense, on s’interdira d’en dire plus)…
Publié en 1954 chez Gallimard, Le Château des Bois-Noirs plonge ses racines dans plusieurs sols à la fois et semble avoir emprunté à tous les genres romanesques. On peut y lire un roman classique, dans lequel on ose encore mourir d’amour, un roman sentimental (mais sans sensiblerie), un drame psychologique ou, dans le dernier quart du volume, une enquête à la Maigret, à ceci près que l’essentiel ici n’est pas tant la découverte du coupable que l’examen des pulsions qui encouragent chacun à agir. Finalement, on tient un roman comme il ne s’en fait sans doute plus guère mais dans lequel on a plaisir à rester embarqué. La richesse de l’écriture y est bien sûr pour beaucoup (une densité qui avait déjà séduit Julien Gracq dans Mont-Dragon). Mais si on se laisse si facilement prendre, si on accepte de rester dans cette obscurité si souvent irrespirable, c’est surtout parce qu’il questionne sur ce qui fait la grandeur et la faiblesse de chaque être humain : ses passions, contre lesquelles il continue de se débattre.
Didier Garcia

Le Château des Bois-Noirs, de Robert Margerit, Libretto, 272 pages, 9,70

Noirceurs des cœurs Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°182 , avril 2017.
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