Jacques Dupin, la puissance au carré
- Présentation Le verbe à cheval
- Entretien Hanche double
- Papier critique Dernier démantèlement
- Autre papier Matière des mères
- Autre papier Du corps, face au monde
- Autre papier Le dernier des impeccables
- Autre papier Jacques Dupin, l’insurgé
- Autre papier Pour ne rien dire
- Autre papier Une expérience sans mesure
Venant d’un lieu tenu pour être quelque peu à l’écart, bien qu’alors tout aussi proche des agitations d’une époque aujourd’hui révolue, ce n’est que quelques années après qu’elle se soit imposée que je découvrais la poésie de Jacques Dupin. L’adolescence achevée, rompue, cet écart ne recouvrait aucune signification puisque désormais le nulle part d’où je venais se révélait depuis un bon moment être un ici partout. Comme ce fut le cas, sans doute, pour d’autres lecteurs, j’étais bouleversé par la puissance d’invention de sa langue poétique, son côté âpre et farouche, voire irréductible. Cette poésie allait ainsi défier toute l’attention qu’elle méritait. Le lieu de parole s’accordait au plus près de l’expérience faite d’un monde et d’un temps pressentis, conjoints sous tous leurs aspects et configurations, une réalité aussi magnifique qu’insupportable, obstiné en sa vacuité comme en sa présence éphémère. Toujours vivante de ce rapport à la vie le moins illusoire qui soit, cette poésie ouvrait sur une intensité de saisie sur tout ce qui est, sur les significations possibles de ce qui est, sur la présence du présent aussi assignable qu’inassignable. Aussi une première lecture de ses textes laissait découvrir l’extrême lucidité dont cette poésie se nourrissait. Les premiers mots ouvrant le texte intitulé « L’irréversible », publié dans le numéro six de la revue L’Éphémère – nous sommes à l’été 68 –, et découvert par moi que plus tard, nous avait prévenu du poids des événements, et plus encore du fait d’être là présent, et de ressentir le monde comme un désordre et un abîme démesuré, interminable, insondable Injonction irréductible du présent. Exigeante, cette poésie n’a rien d’obscur. Sa liberté de la parole stupéfiait. Son originalité s’éprouvait à travers une rigueur qui laisse voir un monde éclaté, un réel impossible à enfermer dans le langage. Sa voix ne s’est jamais enfermée dans quelque certitude. Et ses gravitations ébranlent les structures de la connaissance, de la culture, et de langue. Sans attache de départ si ce n’est celles des expériences sensibles d’événements traversés, elles sont les véritables remontées vers sa source. Ainsi, une première lecture de Dehors – nous sommes en 1975 – invitait non seulement à faire retour sur les textes déjà publiés, mais disposait totalement à une attention aux textes à venir. Ce livre laissait découvrir la difficulté de faire advenir une parole capable de se soustraire à toute parole établie. En cela Dupin délaissait les territoires de la simple représentation de la réalité afin de conduire une parole qui, comme un geste ou une action, serait en mesure de produire des effets réels sur nos manières de voir, de saisir, de sentir, d’agir. Plus encore, tout comme les textes qui auront précédé – et ceux à venir – en touchant à l’essence des signes, cette poésie rejoignait comme nulle autre l’essence de la vie, son chaos et sa fragilité, son inachèvement inéluctable, et tout autant, l’impossibilité...