À 20 ans, déboussolé par une déception amoureuse, Sébastien Ortiz quitte Aix-en-Provence pour Taïwan. « Exilé, il me plaisait de rejoindre un peuple d’exilés et j’aimais l’insularité de ce territoire en forme de feuille de tabac, qui n’était pas tout à fait un État, et qui, comme moi, tentait de survivre dans l’inconfort où les circonstances l’avaient placé. » L’île oscille entre hyper-modernité et tradition. La culture chinoise classique, protégée du communisme et de la société de consommation qui lui a succédé, continue à s’y épanouir, muant l’ancienne Formose en « exhausteur » de Chine. L’amoureux éconduit vit à Taipei, la capitale fourmilière. Au cours d’une excursion, il rejoint un temple zen. « Le maître m’avait pris de court en m’offrant de rester parmi eux le temps que je le désirerais, “un an, dix ans, cent ans” si je le voulais. » Jeune acolyte, il se fond dans la communauté de moines et de nonnes par curiosité intellectuelle, passion pour la culture chinoise, besoin de s’oublier : « Pas plus que pour d’autres religions, je n’avais d’inclinaison particulière pour le bouddhisme, ses finalités et ses rites, mais j’estimais que la moindre des choses était de me plier à la discipline plutôt souple de la structure qui m’hébergeait et me nourrissait. » Sa vie est rythmée par la méditation, la recherche de la paix intérieure et de la vacuité de l’esprit, les corvées domestiques, l’étude du chinois, la calligraphie, les textes de Confucius et Lao Tseu… Il part en randonnée à pied ou en scooter, se plonge dans la nature, éprouve pleinement le rythme des saisons. Devient Maître du Tambour, ponctue le temps de la communauté. « Une journée, c’était l’intervalle pulsatile entre le tambour de l’aube et celui du crépuscule. »
L’écriture de Sébastien Ortiz, légère, dépouillée, parfois proche du haïku, ravit, éblouit. Elle rend plus proche, accessible, sans jugement, sans pathos. Les portraits de moines saisissent, touchent. Ils mettent en parallèle les vies d’avant et celles d’un éternel aujourd’hui. Le Vieux Moine « passé au-delà du chagrin ». Les relations d’un frère et de sa sœur, nonne délirante, voyant des démons partout. L’étudiant Hung Te-yang et ses accès de nihilisme. K’ai-jen Shih, chef très cruel d’une triade, raffolait du goût du sang. Pour échapper à la vengeance, il se terre dans un temple et vit « l’expérience du vide après celle de l’excès. »
La description de la nature prend ici des allures de tableaux minimalistes où formes et couleurs s’interpénètrent, se dissolvent, bruinent un précipité lactescent, mélancolique. Celle des idéogrammes, de travail d’orfèvre. « Les caractères les plus complexes étaient comme des châteaux de cartes qu’un seul trait maladroit pouvait déséquilibrer et faire s’effondrer, mais certains avaient pour moi la beauté d’un talisman. » Guillaume Apollinaire mettra fin au charme ! Les vers (retrouvés au fond d’un sac) d’Alcools réveillent ses ardeurs, « pareils élans dionysiaques, pareilles inflammations du désir étaient aux antipodes de la voie du bouddhisme. » La puissance de la poésie, de l’imagination, de la littérature le ravissent, l’amènent à souhaiter le trouble, le chaos émotionnel. Proust, Cendrars, Gracq suivront. « Je jugeais la polyphonie du monde plus attirante que son impertinence. » Il arrive même à faire résonner dans le temple les notes de When my guitar gently weeps des Beatles. Renaissance, résurrection ! « Je redescendis dans le monde plus léger que je ne l’avais quitté. » Sébastien Ortiz, né en 1972, aujourd’hui diplomate, sinologue, spécialiste de l’Asie, est l’auteur de cinq ouvrages.
Dominique Aussenac
Dans un temple zen, de Sébastien Ortiz
Arléa, 112 pages, 17 €
Domaine français Maître du temps
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Dominique Aussenac
Par un récit initiatique, Sébastien Ortiz dépeint avec une grande pudeur, une extrême finesse la communauté religieuse qui l’ accueillit.
Un livre
Maître du temps
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.