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Entretiens Les leçons de l’histoire

mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183 | par Thierry Guichard

En liant entre eux quelques jalons de la montée du nazisme et du régime hitlérien, Éric Vuillard instruit le procès de ces barons d’industrie qui se sont compromis. Et ont survécu.

Nous sommes le 20 février 1933 et voici « vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois-pièces » qui pénètrent dans le palais du Président de l’Assemblée, (« mais bientôt il n’y aura plus d’Assemblée ») pour apporter, en secret, leur soutien à Adolf Hitler. Ces vingt-quatre-là sont des barons de l’industrie allemande, les représentants de l’ordre immuable du capital qui vont, ensemble, apporter le financement nécessaire à la prise de pouvoir du futur dictateur. Pour beaucoup d’entre eux, leurs firmes aujourd’hui encore s’affichent en lettres d’or dans les publicités des magazines. Goering leur promet la stabilité pour les affaires et « les vingt-quatre messieurs hochent religieusement la tête ».
Nous voici cinq ans plus tard et à la demande de l’Allemagne, le président de l’Autriche Wilhelm Miklas nomme le nazi Seyss-Inquart chancelier d’Autriche : « Les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petits pas. » Mais le compromis ne suffit pas et c’est l’Anschluss, l’annexion d’une Autriche d’opérette par une armée allemande qui tombe en panne la frontière à peine franchie. Cette panne pathétique et le pathétique des chancelleries, c’est le masque de la comédie sur le visage de l’horreur qui vient.
Avec sobriété, Éric Vuillard montre les petits compromis et les grandes compromissions de ceux qui ont permis la domination d’Hitler. L’écrivain souligne d’un trait les relations de la finance et de l’industrie avec la barbarie. Du moment que l’ordre des choses est préservé, que les riches s’enrichissent, que le confort de quelques-uns est maintenu, Hitler est un mal acceptable…
Le livre se fait plus douloureux lorsqu’apparaissent les fantômes de l’Anschluss, (« il y eut plus de mille sept cents suicides en une seule semaine »), et les spectres de ces ouvriers loués aux camps de concentration pour que se fasse le retour sur investissement. C’est sur ces morts que le livre, aiguisé, se referme douloureusement. Et sur le constat que « l’abîme est bordé de hautes demeures ». Une manière de tirer des leçons de l’Histoire ?

Éric Vuillard, on a le sentiment en lisant L’Ordre du jour que le sujet du livre, initialement, était et n’était que cette réunion du 20 février 1933 qui ouvre le récit. Et que l’Histoire étant riche d’enseignements, elle vous a imposé quelques-uns de ses reliefs saisissants : la grande panne de l’Anschluss, le repas d’adieu de Ribbentrop, la discussion entre Ribbentrop et Goering lue à Nuremberg, etc. Quand vous avez attaqué l’écriture de L’Ordre du jour saviez-vous où cela vous conduirait ?
Le livre est construit à partir de plusieurs pôles. Des scènes empruntées à divers lieux et à des circonstances différentes racontent une seule histoire. Celle de nos compromis. En commençant le livre, je prévoyais que la guerre serait enjambée en quelque sorte, et je souhaitais cet effet de composition. La Deuxième Guerre...

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