Une sensation nue de la vie, un sens aigu des rythmes et des rapports qui s’établissent entre un corps et un lieu, une façon d’entremêler intimement la nature à une intériorité, il n’y a que Sophie Loizeau pour réussir cette union entre l’universel et l’intime.
La maîtresse forme qu’annonce le titre caractérise l’essence de cette relation, le tour particulier qu’elle prend dans cette façon d’éprouver le réel, de vibrer au diapason des éléments, de la forêt, des bêtes. « S’identifier aux bêtes est / le seul moyen d’évolution ». Une manière aussi de pénétrer profondément dans la qualité de certaines heures, d’évoquer les lieux de l’écriture, l’enracinement et la filiation, le souvenir et le deuil. Une poésie qui cherche à saisir ce qui se passe aux affleurements de la perception et en avant de la pensée. Et ce, en abordant autrement notre réel, en le restituant sous l’effet d’autres découpages, en découvrant des positions inouïes du sujet dans l’énonciation. « Libera me des tâches // hors celle d’écrire elle étant / la liberté toute nue // car je n’ai pas comme l’homme qui écrit d’épouse / d’ange / sur les épaules les ailes de qui / décharger tout le poids de la vie domestique ».
Mais ce qui singularise d’abord ce livre c’est qu’il est bilingue, écrit/parlé, offrant à chaque page deux versions du même texte, l’un en langue écrite, l’autre en langue dite, donnant à entendre la complexité des forces désirales qui l’animent. De l’écrit à l’oral, le texte se fait « partition », une partition « faite à ma bouche », précise Sophie Loizeau qui ajoute qu’ainsi, la lire, « c’est accepter de mettre sa bouche dans ma bouche ». Ce qui est dire aussi combien la voix est une peau, un principe de liaison qui la met du côté d’Éros, qui la métaphorise en corps de désir comme chacun des sept livres signés Sophie Loizeau.
Richard Blin
Ma maîtresse forme, de Sophie Loizeau
Champ Vallon, 96 pages, 13 €
Poésie Ma maîtresse forme, de Sophie Loizeau
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Richard Blin
Un livre
Ma maîtresse forme, de Sophie Loizeau
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.