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Traduction Marily Le Nir

juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184

Le Poids d’un ange, de Eugen Uricaru

Par les baies de la véranda, où j’ai installé mon bureau, je vois s’éveiller le jardin au chant des oiseaux. Le chat fait sa promenade rituelle sur le clavier de l’ordinateur puis s’installe de tout son long sur les dictionnaires en se disant : « Peut-être n’y touchera-t-elle pas aujourd’hui ? » Mais si, elle va y toucher !
Avec bonheur, avec gourmandise, je vais attaquer une nouvelle page d’Eugen Uricaru.
Traduire Uricaru, c’est converser avec un ami. Nous partageons le goût de l’histoire et de la spiritualité et il comprend d’autant mieux les questions que je peux lui poser qu’il est lui-même traducteur – de l’italien (Italo Calvino, Primo Levi) et du russe (Soljenitsyne). Fondateur du groupe littéraire et de la revue Echinox, seule voix d’opposition à l’époque de la dictature, ses collègues écrivains et lui-même ont particulièrement contribué à rétablir en Roumanie une continuité culturelle gravement menacée par les idéologues du régime. Après la « révolution » de 1989, il exerce de multiples activités dans le domaine diplomatique, devient Président de l’Union des Écrivains de Roumanie, crée les inoubliables « Jours et nuits de littérature » à Mangalia (au bord de la mer Noire) et poursuit inlassablement, depuis 1974, une œuvre romanesque d’une grande richesse. Extrêmement apprécié, aussi bien en Roumanie qu’à l’étranger (deux fois lauréat de l’Académie Roumaine, deux fois primé par l’Union des Écrivains), il est traduit en de nombreuses langues, la dernière étant le chinois en 2016.
Le Poids d’un ange est le deuxième volet d’un cycle épique débuté en 2006 avec La Soumission (que j’ai eu le plaisir de traduire pour Noir sur blanc). Ce vaste projet narratif englobe le XXe siècle et en fait le personnage principal des romans, mettant en lumière les multiples bouleversements vécus par les Roumains. Le Poids d’un ange peut être lu comme le roman d’un monde « enserré dans l’étau de la peur » selon Basarab, le protagoniste de la narration. Il retrace l’itinéraire de Basarab depuis ses années d’études à Vienne jusqu’à la prison de Peta, en Roumanie.
Dans La Soumission, Basarab Zapa est le personnage secourable, indispensable, la seule chance qui soit offerte en ce monde à Petra Maier et son fils Cezar, mais c’est dans Le Poids d’un ange qu’il va révéler l’étendue de son savoir, de ses mystères, de son initiation tibétaine.
Pour moi, les pages les plus captivantes concernent ce fascinant Basarab, explorateur malgré lui du Tibet au cours de la Première Guerre mondiale, hôte de Dorji Lama dans un monastère perdu parmi les nuages. D’autant que cette personne a réellement existé et a beaucoup compté dans la vie d’Eugen Uricaru !
Si La Soumission offre un tableau de l’immédiate après-guerre avec d’une part la typologie, le décor, l’atmosphère, le discours de l’univers carcéral et d’autre part la mise en place insidieuse du nouveau régime dans une bourgade du sud-est de la Roumanie, Le Poids d’un ange ouvre quant à lui de plus larges horizons.
Des vastes espaces de la Russie et du Tibet aux rues de Berlin, aux villages initiatiques de Transylvanie et finalement à la lisière du pays, près de Timisoara, nous parcourons un monde complexe, impatients de connaître les rebondissements de la trame romanesque au moment de la « libéralisation » du régime en 1964.
Un des points forts du récit est de prendre l’histoire pour pivot : l’évocation de personnages réels offre vraisemblance et crédibilité aux héros du roman. Quand Todor Grancea l’ambitieux politicien et Neculai Craciun, le policier (une sorte de Javert), disent que « toute époque a la fin qu’elle mérite » ou qu’ « il ne faut pas craindre un insecte, mais (qu’)une foule d’insectes te dévore tout cru », ils sont crédibles, car les protagonistes du roman représentent un système et un monde créé par des personnages historiques qui leur donnent vie.
La projection dans le passé et la vision du futur proche, c’est-à-dire la Roumanie d’aujourd’hui, constituent l’un des niveaux les plus solides des œuvres d’Eugen Uricaru. Avec une écriture à l’inépuisable abondance de mots rares et anciens et un souffle poétique admirable.
C’est précisément ce qui me touche dans ses textes : je suis restée très attachée à ce pays où j’ai vécu seize ans, jusqu’à la dissolution de la Mission Universitaire française dont mes parents faisaient partie. J’ai parlé le roumain en même temps que le français dès mes premiers balbutiements et aucune des cinq langues apprises plus tard n’a pénétré mon âme comme le roumain.
Quand je traduis, je sens intimement ce que l’auteur veut exprimer. Certes, il le dit avec une syntaxe spécifique au roumain qui m’oblige à des tours de passe-passe et il m’arrive parfois de trouver que la langue roumaine a un vocabulaire plus riche que le français, mais « me colleter » avec un texte roumain est toujours passionnant, et le rendre « directement lisible » au lecteur français une gageure toujours renouvelée.
Et puis lire, relire et relire encore… N’en déplaise au chat !

* Traductrice, entre autres, de Norman Manea, Florina Ilis, Gabriela Adamesteanu. Le Poids d’un ange est paru en mai aux éditions Noir sur blanc.

Marily Le Nir
Le Matricule des Anges n°184 , juin 2017.
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