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Intemporels Pauvre prêcheur

juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184 | par Didier Garcia

Fervente catholique, l’Américaine Flannery O’Connor (1925-1964) dresse le portrait d’un mauvais prophète condamné aux ténèbres.

On pense depuis toujours que pour croire il n’est pas nécessaire de comprendre : c’est le fameux « credo quia absurdum » (« Je le crois parce que c’est absurde »), fréquemment attribué à saint Augustin. Selon Hazel Motes, l’antihéros de ce roman, il faut croire en ce que l’on peut « voir, tenir en main ou vérifier avec ses dents », autrement dit se ranger derrière saint Thomas…
Tel est le credo qui tient lieu de religion à ce prêcheur ambulant, fondateur par surcroît, mais presque pour son usage exclusif, de « l’Église Sans Christ ». Une Église dépourvue de tout pouvoir rédempteur, « où les aveugles ne voient pas, où les paralytiques ne marchent pas, et où ce qui est mort reste mort ». Ajoutez à cela sa sentence favorite : « Jésus était un menteur » et vous aurez une idée assez précise des préceptes sur lesquels repose sa foi.
À Taulkinham, ville imaginaire située dans le Tennessee, Hazel n’est pas seul. Autour de lui gravitent de drôles de types : un évangéliste aveugle, qui prêche pour la Libre Église du Christ (mais on découvrira plus loin qu’il feint d’être aveugle, et qu’il avait souhaité se brûler les yeux à la chaux pour pouvoir éprouver la cécité de saint Paul, laquelle se trouve être à l’origine de sa conversion) ; un certain Enoch Emery, jeune homme de 18 ans qui se sent régulièrement poussé « par un besoin irrésistible d’insulter quelqu’un ». Il y a aussi Solace Layfield, prophète de profession, et quelques personnages féminins qui ne valent guère mieux que les hommes, comme cette Leora Watts, dont on ne sait exactement qui elle est, mais qui se donne facilement à ceux qui se présentent chez elle. Des types pas très fréquentables dans l’ensemble (y compris le temps d’un roman). Et pour lesquels on n’éprouve aucune empathie.
Lorsqu’on a lu le premier tiers du volume, on n’est guère plus avancé qu’avant. On est encore incapable d’imaginer dans quelle direction cette histoire va bien pouvoir partir (à supposer qu’à la fin histoire il y ait). On voit juste, et ce depuis les premières pages, que cet univers est sombre, pas particulièrement accueillant, plein d’une certaine forme de violence (que l’on sent susceptible d’exploser à peu près n’importe quand, pour peu que les circonstances y mettent du leur), et que la question de la religion est omniprésente. L’univers mis en place par Flannery O’Connor est dense, épais, poisseux, parfois difficilement respirable, mais habité par son talent de conteuse, qui incite le lecteur à toujours aller de l’avant…
Au fil des pages on apprend quand même que prêcher n’est pas si difficile que cela pour Hazel. Il lui suffit de grimper sur le capot de son Essex (pas tout à fait dernier cri), stationnée devant la sortie d’un cinéma par exemple, et de lancer quelques phrases bien choisies en direction des passants. À ce petit jeu, il finit par avoir un premier disciple, en la personne d’un pasteur qui s’appelle Ownie Jay Holy, mais ce dernier va bientôt tout faire pour lui voler la vedette.
Quel besoin avait Hazel de devenir prédicateur ? Tout laisse à penser qu’il en est là faute d’avoir su faire autre chose et à défaut d’une vocation plus sérieuse. Mais il faut bien reconnaître qu’il ne se débrouille pas trop mal : il y a du délire verbal dans sa prédication (les évangélistes sont « toujours légèrement cinglés »), des quantités d’injures et de blasphèmes, ce qui lui vaut de rencontrer d’autres allumés dans son genre (et parfois dans un genre différent), tous comme lui naufragés de la vie. Et aux intentions pas forcément louables.
Quelques pages plus loin, lorsque Hazel aura tué le pseudo-aveugle et se sera brûlé les yeux (afin d’accéder à la vérité de saint Paul ou pour expier à la façon d’Œdipe ?), on le verra remplir ses chaussures de graviers, de cailloux et de verre pilé, sous les yeux d’une logeuse désireuse de l’épouser…
Porté à l’écran par John Huston en 1979, La Sagesse dans le sang (premier roman de l’auteure, publié en 1952) ressemble à une énigme, mais alors une énigme que l’on n’aspire pas à résoudre, et qu’il convient peut-être de laisser telle qu’elle est. O’Connor (et c’est volontaire) ne donne aucune clé : on ne saura donc pas s’il s’agit d’une condamnation en règle des évangélistes qui ont pullulé aux États-Unis, ou d’une peinture destinée à montrer un visage inquiétant du Sud américain. Peu importe après tout : on sort hébété de ce roman, que l’on a suivi avec toujours le même malaise, sans jamais savoir exactement où l’on devait mettre les pieds. Ce qui reste une singulière expérience de lecture.

Didier Garcia

La Sagesse dans le sang,
de Flannery O’Connor
Traduit de l’américain par Maurice-Edgar Coindreau, L’Imaginaire, 252 p., 7,50

Pauvre prêcheur Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°184 , juin 2017.
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