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Poésie Écrire à l’oreille

juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184 | par Christine Plantec

Inédit en français, Le Charmeur de rats incarne la période faste de l’insoumise Marina Tsvetaeva en un long poème narratif et caustique.

Le Charmeur de rats

Exilée d’URSS depuis 1922, d’abord à Berlin pour y retrouver son mari engagé dans les rangs de l’armée blanche, puis à Prague, Marina Tsvetaeva donne naissance à son fils Guéorgi le 1er février 1925. En écho au Chat Murr d’Hoffmann, elle appellera son fils Mour sa vie durant. Un mois plus tard, elle commence la rédaction d’un opus qui puise également dans le folklore allemand puisqu’il s’agit pour la poète russe de se prêter à la réécriture d’une légende immortalisée par les frères Grimm. Ce sera Le Charmeur de rats. Si l’histoire de ce joueur de flûte dans la ville d’Hamelin est connue, Tsvetaeva donne une coloration particulière à son long poème en proposant en sous-titre « Satire lyrique ». Orchestré en six parties, le texte obéit à une cohérence implacable et demeure fidèle à la trame narrative du conte allemand. Pour autant – et c’est toute la saveur de l’intertextualité –, la poète y déplace le propos, tout autant que la langue.
Bien sûr, il s’agit de la ville d’Hamelin, d’un bourgmestre régnant sur ses administrés ventripotents qui cherchent coûte que coûte à chasser les rats de leur ville. Bien sûr un joueur de flûte les libérera de cette peste infâme. Bien sûr les habitants refuseront de tenir promesse et s’ensuivra la fin tragique qu’on sait pour tous les enfants du village. Mais pour celle qui déclare dans ses Carnets avoir toujours « été étrangère à tout cercle. Politique comme poétique », sa condition présente d’émigrée parmi les russes blancs en exil lui est insupportable. Or c’est peut-être ceux-là que dans Le Charmeur de rats elle stigmatise : « Quel mirage ou encore quel rêve / Voit donc le Bourgmestre ? Rien-de-rien. // Rien, (comme d’un monceau de gras / ça suinte ! ), Autrement dit : des bourgeois. » Même si elle n’épargne pas non plus les bolcheviks : « Sans cavale. / ça s’emballe. / Intégrale. / Intervalle.// On remballe. /C’est vénal./Internat-/tio… »
En fait, rebelle à tout système, à toute doctrine, Tsvetaeva refuse par-dessus tout les phénomènes de masse comme si elle sentait intuitivement que l’indistinction imposée au collectif pouvait mener au totalitarisme quel qu’il soit : « Dans la ville – du reste, c’est une grande famille / Hamelin ! Ainsi donc, dans l’hamelinoise / Famille – le pronom “je” / Est manquant : pas un-tout-seul, non, tous-ensemble. // Sauf dans le cas des biens tangibles, / Je signifie tout un chacun. // (…) L’auteur de ces humbles phrases / – Qu’on le couvrît d’or ou couteau sur la gorge – // Ne reconnaît qu’un seul son – mien s’entend ! / Celui qui s’énonce clair : je. » Cette détestation viscérale du conformisme est finalement assez romantique : « Mon cercle ? Le cercle de l’univers, celui de l’âme, c’est la même chose. Et celui de l’homme, de son humaine solitude et de son isolement. » (Carnets)
Abreuvée par l’exil, cette écriture de la maturité est comme dynamitée de l’intérieur par une syntaxe elliptique, le charme ensorcelant d’une métrique débridée, une inflation d’interrogatives, d’exclamatives, de tirets, de néologismes. En parfaite musicienne, Tsvetaeva écrit à l’oreille et elle implique son lecteur. À son ami Pasternak, elle écrit : « Le charmeur de rats, lis-le, si possible, à voix haute, à mi-voix, en bougeant les lèvres. En particulier “Le Ravissement”. Non, tout, tout ». Ses poèmes – comme ici ses lettres – sont des partitions en attente d’une interprétation vocale. On saluera d’ailleurs le travail remarquable de la traduction d’Evelyne Amoursky qui parvient à restituer l’incroyable inventivité de ce poème incantatoire.
Dans une autre lettre à Pasternak datant de 1923, elle écrit : « La poésie lyrique : c’est une ligne en pointillé. Vue de loin – noire et continue, mais à y regarder de plus près : perpétuelle discontinuité entre les points – le vide : la mort. Et vous, d’un poème à l’autre, vous mourez. » Poète des extrêmes conjugués, il semble que Tsvetaeva n’ait eu de cesse de se tenir en cette pointe incandescente où joie de la création et tragique se côtoient merveilleusement.
Christine Plantec

Le Charmeur de rats, de Marina Tsvetaeva
Traduit du russe par Evelyne Amoursky, La Barque, 171 pages, 24

Écrire à l’oreille Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°184 , juin 2017.
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