En moins de vingt ans, c’est toute une œuvre poétique que Thierry Metz sut mettre en chantier. En 1980, il a alors 24 ans, il reçoit le prix Voronca pour Sur la table inventée. Dix ans plus tard, il relate son expérience d’ouvrier dans Le Journal d’un manœuvre. En 1996, l’écrivain installé à Bordeaux effectue deux séjours successifs à l’hôpital psychiatrique de Cadillac, où il tente de soigner alcoolisme et dépression. Il y écrit un journal, L’Homme qui penche. Le printemps suivant, Thierry Metz mettait fin à ses jours.
C’est une maison, « une maison de la rencontre et de la réparation », et l’homme qui en est l’habitant, nous parle. Celui-ci tente de s’approcher sans cesse de quelque chose d’inatteignable. Incessamment, quelque chose s’accorde, un regard surgit, un mot survient, qu’il faut saisir au plus juste. C’est là une succession de jours, et presque autant de pages, d’un livre toujours à écrire. Les jours d’automne s’effeuillent ainsi que les roses d’un jardin saison après saison. Par deux fois, Thierry Metz tient son journal pour « ne pas perdre le fil ». Ce perpétuel dialogue entre vie et écriture, L’Homme qui penche s’en fait l’écho. Ses derniers poèmes cités par bribes quelques fois laissent entrevoir un vide, une absence et le doute de celui qui toujours est en quête de son désir de vivre.
Ainsi le quotidien relaté touche-t-il à l’essentiel. Ce fil raccorde au visage de l’autre, noue corps et âme à toute une symbolique du geste et du regard, langage même de ce poète dont l’attention ne faiblit pas car il s’est mis en quête de nous en traduire le sens. Le silencieux travail de l’écriture répond à la patiente rencontre avec ces hommes et femmes, compagnons de vie dans les lieux clos de l’hôpital psychiatrique, comme si ce hors-champ social symbolisait le néant auquel la précarité de l’existence humaine est promise. C’est aussi par le regard que s’opère une étrange ascèse : « chaque mot écrit échappe à ce qu’il dit. On y retourne plus aveugle encore. » Écrire serait-ce vraiment pencher du côté du vivre, s’affranchir de toute ivresse, celle du verbe et de ses effusions ? Vivre et écrire, serait-ce encore une équation qui ne peut être résolue ? Ce n’est alors que par inadvertance, que l’homme qui penche se penche « pour retenir ce qui était plus penché que lui », et que, nous dit-il alors, « l’imperceptible est notre seule et souriante complicité. » Mais ce chemin d’écriture s’est assombri.
Le recueil Poésies (1978-1997), réunissant un choix de poèmes parus dans des revues comme Résurrection ou Diérèse, laisse entrevoir, après une première période lyrique et solaire, une sorte de gravité. Le style de Thierry Metz change de registre, délaissant l’enchantement de longs poèmes pour adopter une tournure des plus dépouillées. Dès lors, la concision l’emporte et parfois même, ce qui se dit est seulement suggéré. Ce style épuré tend à l’aphorisme, s’organise par couples d’opposés, variant peu de motifs. Ainsi tout effet de style tend à s’estomper, le langage s’épure. Mais plus encore, ce qui aura changé, met en jeu les fondements même de l’écriture poétique. Processus toujours à l’œuvre, le poème s’examine à l’aune de ce qui le remet en question, voire le menace, à l’instar de ces notions d’approche, de tentative, de retrait, d’effacement et d’ombre. L’écriture poétique a donc pris une autre tournure, quittant le versant lyrique de ses débuts, suivant la trajectoire même de cette éclipse par laquelle le regard de l’écrivain s’est transformé. Il n’est plus alors l’homme de langage qu’il se croyait être, mais désarmé, dépouillé de lui-même, au terme d’une incandescence qui sans doute n’est pas du seul ordre des mots.
Emmanuelle Rodrigues
Thierry Metz L’Homme qui penche,
Unes, 112 pages, 19 €
et Poésies 1978-1997, Pierre Mainard,
182 pages, 18 €
Poésie La brûlure des mots
juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185
| par
Emmanuelle Rodrigues
Un recueil inédit de poèmes et la réédition de L’Homme qui penche rendent hommage à Thierry Metz, disparu il y a vingt ans.
Des livres
La brûlure des mots
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°185
, juillet 2017.