Attention, jeune écrivain prometteur, disions-nous en 2015 dans ces pages, au moment où Miguel Bonnefoy signait Le Voyage d’Octavio chez ce même éditeur. Biberonné au réalisme magique sud-américain, ce trentenaire franco-vénézuélien qui vit à Caracas invite à un nouveau voyage dans son imagination vaste. Le roman s’ouvre sur la disparition du navire du corsaire Henry Morgan que sa cupidité aura consumé. À trois siècles de là, la rumeur d’un trésor « conservé dans le ventre des Caraïbes » attire les chercheurs d’or. Plus on avance dans cette histoire qui traverse trois générations de la famille Otero, plus se dessine une fresque quasi philosophique : Bonnefoy interroge la nature de nos quêtes intimes, écoute ces désirs qui aiguillonnent, pour le meilleur ou pour le pire, la vie secrète des hommes. Et surtout des femmes, avec ici Serena Otero et Eva Fuego, la mère et la fille, successivement à la tête d’un commerce de rhum prospère – le sucre noir du titre faisant référence à la mélasse issue de la canne –, avant de s’effondrer. Capricieuse fortune qui se joue des êtres jusqu’à les embraser, jusqu’à ravager tout un pays. Faut-il y voir un écho de la situation catastrophique que vit actuellement le Venezuela ? Peut-être.
Ainsi inspiré, Bonnefoy aurait pu se lancer dans une saga de 800 pages ; il a choisi une narration en ellipses judicieuses. S’il opte pour des accélérations à travers le temps, il sait aussi, par une attention tantôt onirique, tantôt psychologique, s’attarder sur la vibration d’un paysage ou la portée d’un trait de caractère. Déjà dans son premier roman il y avait cette manière de faire et le conteur naissant d’hier confirme sa maîtrise ici. Sa prose envoûte, comme les vapeurs d’un alcool trop fort. Du rhum, par exemple.
Anthony Dufraisse
Sucre noir de Miguel Bonnefoy
Rivages, 207 pages, 19,50 €
Domaine français Sucre noir
septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°186
, septembre 2017.