Joël Baqué, écrivain sans frontières
Publié en novembre 2016, La Mer c’est rien du tout avait accroché dans ses rets bon nombre de lecteurs, touchés par cet équilibre délicat entre humour et tragédie, poésie et roman. Signée Joël Baqué, cette autofiction en pointillé révélait un auteur qui, pourtant, n’en était pas à son premier coup d’essai. Trois livres de poésie et deux romans avaient précédé l’ouvrage hybride publié chez P.O.L : le début d’une œuvre dont la beauté est paraphée aujourd’hui par un nouvel opus étonnant autant que réjouissant, La Fonte des glaces. Inutile de chausser moufles et bonnet de laine pour aller à la rencontre de cet auteur discret (Wikipédia l’ignore). L’homme habite Nice, un quartier non loin de la gare où les rues portent des noms de compositeurs.
C’est à Nice qu’il travaille. Le présent devra se changer en imparfait : s’il est aujourd’hui chef d’état-major adjoint de la police aux frontières des Alpes-Maritimes, chargé de la traite des humains, il sera, quand vous lirez ces lignes, un jeune retraité.
L’homme qui nous accueille rechigne à nous faire monter dans l’appartement qu’il habite depuis un an et demi. 29 m2 occupés essentiellement par des cartons, une table, peu de chaises. Pas de télévision. « Mes amies ne veulent pas venir chez moi, elles trouvent ça déprimant » confie-t-il avec cet accent sudiste qui semble une synthèse de ceux du Languedoc, de Marseille, de Nice et peut-être des Inuits.
L’homme propose le bar du Splendid hôtel dont il s’empresse de dire qu’il n’y est encore jamais allé bien qu’à deux pas de chez lui. Au huitième étage, la terrasse offre une vue sur la mer mais aussi sur quelques jeunes femmes accortes, au bronzage impeccable, qui profitent de la piscine et de l’ombre des parasols. Joël Baqué est célibataire, ce qui rend l’information qui précède publiable.
C’est donc entouré de naïades et autres sirènes que l’écrivain évoque une enfance sur laquelle il a écrit dans La Mer c’est rien du tout. En prenant quelques libertés : le petit frère bègue et homosexuel du livre ne ressemble que peu à son grand frère hétéro.
« Je viens d’une famille que pudiquement on appelle très modeste. » Le père a pris la place du grand-père dans une grande propriété viticole de Montblanc dans l’Hérault. Ouvrier agricole, il fait figure de contremaître pour un patron paternaliste. La mère reste au foyer pour s’occuper du petit Joël, arrivé très tardivement, quand elle avait 42 ans. L’autre fils a dix-sept ans de plus (on est loin du petit Paul de La Mer c’est rien du tout), la fille en a déjà dix quand Joël vient au monde, en décembre 1963. Et dès ses premiers pas, le gamin prend un abonnement pour la solitude. « Il n’y avait pas de famille. Seule ma grand-mère maternelle me donnait un peu d’amour. Elle est morte quand j’avais 8 ans. » On entend ça un peu dans La Mer c’est rien du tout, atténué toutefois par l’humour, la tendresse et l’attention portée aux mots. Mais on entend la dureté du père, la dépression...