Qui est le maître du temps ? Est-ce le big-bang originel, un dieu ; à moins qu’il s’agisse de l’empereur ou de l’horloger… À partir de ces hypothèses, Christoph Ransmayr a imaginé un roman dépaysant : Cox ou la course du temps. Son personnage en effet accomplit un immense et inusité voyage au XVIIIe siècle, permettant la rencontre de l’Occident et de l’Orient.
Constructeur d’automates et d’horloges réputé, l’Anglais Alister Cox se voit invité par le souverain suprême chinois : il devra concevoir de mirifiques et sophistiqués instruments à mesurer « la course du temps ». Cox est un mélancolique, affligé par la mort de sa fillette Abigaïl et par sa femme, Faye, cloîtrée dans son mutisme. Son travail opiniâtre est une métaphore de son désir de les retrouver dans leur pureté. Flanqué de deux assistants, il accède aux désirs de l’empereur : construire une « horloge à vent », jonque animée par le moindre souffle, une « horloge à feu », représentant la muraille de Chine, enfin le Graal de tout horloger, un céleste « Perpetuum mobile », dont l’énergie se passe de toute intervention humaine, grâce au mercure et aux variations de la pression atmosphérique.
L’un des nombreux intérêts de ce roman brillant est le tableau de la tyrannie incroyablement réglée de l’empire chinois. L’invisibilité de l’empereur, évidemment poète, dont « la collection comptait alors trois mille six cent quatre-vingt-sept poèmes », le révèle pourtant scandaleusement humain auprès des étrangers au « long nez ». On ne compte pas les rituels immuables et complexes, les splendeurs secrètes de la « Cité interdite » de Beijing, la poésie de la résidence d’été dans les montagnes de Mongolie. Tout ceci se conjugue avec des espions omniprésents, des rumeurs superstitieuses, des châtiments irrémédiables, des suppliciés sans retour, tels ces médecins promis à la mort que Cox devra interroger pour connaître leur perception du temps. Car « l’empereur voulait que Cox lui construise des horloges pour les temps fuyants, rampants ou suspendus d’une vie humaine, des machines qui indiqueraient le passage des heures et des jours – le cours variable du temps – selon qu’il était ressenti par un amant, un enfant, un condamné ou d’autres hommes, prisonniers des abîmes ou des geôles de leur existence ou planant au-dessus des nuages de leur bonheur ».
En ce sens, ce roman, à la lisière du réalisme et du fantastique, est un conte fabuleux, une méditation métaphysique. Les péripéties ne manquent pourtant pas : mort d’un assistant de Cox, percé d’une flèche au pied de la grande muraille, intense émoi devant An, la délicate concubine préférée de l’empereur, intrigues de palais qui mettent en danger le destin de nos horlogers… Les périls les plus inéluctables côtoient des images d’infinie poésie : « Il n’était jusqu’à une feuille fanée tombée dans une flaque reflétant le ciel et devenue, poussée par le vent, une bouée de sauvetage pour un scarabée en train de se noyer, que l’amour de l’empereur ne pût transformer en un inestimable joyau ».
Si l’on consulte la postface, on aura la confirmation qu’il s’agit d’un roman historique. L’empereur Qianlong et Cox ont bien existé, sauf que ce dernier se prénommait James et n’a pas eu la famille que l’écrivain lui attribue. Il va sans dire que ce fabuleux voyage n’a jamais eu lieu, que ces horloges sont le lieu le plus pur de la fiction. Depuis Le Dernier des mondes, en 1988, ou La Montagne volante, rédigé en vers libres, ou encore Atlas d’un monde inquiet, dans lequel il parcourait le globe en 70 récits, Christoph Ransmayr a gagné en épure, en hauteur de vue, atteignant une somptueuse évidence romanesque.
Thierry Guinhut
Cox ou la course du temps,
de Christoph Ransmayr
Traduit de l’allemand (Autriche)
par Bernard Kreiss, 336 pages, 22,50 €
Domaine étranger Capture du temps
septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186
| par
Thierry Guinhut
Les fabuleuses horloges de l’empereur de Chine imaginées par l’Autrichien Christoph Ransmayr.
Un livre
Capture du temps
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°186
, septembre 2017.