D’abord, il y a le ton, léger, presque primesautier. Tiens tiens, se dit-on, enfin un roman joueur, qui respire en grand. Tiens, tiens, se dit-on encore, il est bien sympathique ce narrateur mélancolique en diable qui s’interroge sur son lit, vestige d’une nuit agitée : « Une pensée étrange m’a traversé l’esprit. Une idée qui semblait appartenir à un autre. Si quelqu’un pouvait lire, dans les plis de nos draps, les rêves de la nuit précédente, nous serions tous condamnés. » Alerte. Nous sommes à la première page, étrangetés et désirs fous ne vont plus cesser de battre sur les trois cent soixante autres. Nous voilà, étourdis, piégés, prêts à rester au lit, à rêver avec le coupable, l’Argentin Miguel A. Semàn.
Le Musée des rêves, premier texte traduit en français de cet auteur par ailleurs juge de métier, c’est de la haute voltige. Une écriture gouleyante, de la dérision, avec en filigrane le côté obscur des choses, inquiétude, peur, une sorte de terreur qui ne porte pas de nom. Ici sont célébrées les noces de l’humour et de l’intranquillité, de la comédie et de la tragédie, de l’imaginaire foldingue et de l’Histoire, et toujours plus fort, du plaisir et de l’intelligence. Écrabouillé net le cynisme. Balayées les sempiternelles pleurnicheries. Place à la connaissance pétillante, à l’exaltation amoureuse. Au bonheur.
Et pourtant… Dans un pays déglingué – genre l’Argentine des années 80, état d’urgence et surveillance policière – Rodolfo, le narrateur, traîne sa jeunesse comme un boulet, spleen, solitude, manque d’argent. Le hasard, qui n’existe pas, met sur ses pas (désœuvrés) un type (forcément bizarre). Qui lui propose de lui acheter… ses rêves. Rodolfo se met au boulot, et va comprendre qu’il est petite main d’un gang, non pas de bandits, mais de doux révolutionnaires, des clandestins qui œuvrent à redonner vie à la vie, c’est-à-dire aux rêves, ces trucs interdits par la dictature. Ils les récoltent, les archivent, les copient à l’intérieur de bouquins qu’ils abandonnent un peu partout, comme on jette une bouteille à la mer : « Un jour, peu importe combien de temps se sera écoulé, quelqu’un va ouvrir ce livre et lire le rêve qui y est inscrit. Ça, ce sera notre victoire additionnelle, même si on ne sera plus là pour le voir : la sauvegarde de la mémoire. »
Énigmatique façon thriller et ludique façon roman d’apprentissage, Le Musée des rêves s’encanaille dans les bas-fonds du désespoir, brasse l’insensé et donne raison à l’imaginaire, à la littérature, aux histoires, à notre besoin d’utopie pour donner sens à nos destinées. Coaché par une frondeuse voleuse de livres qui « petit bout par petit bout, avec plusieurs histoires » construit son propre roman – sa propre vie –, Rodolpho retrouve l’innocence perdue, cette vertu de croire que rien n’est impossible, surtout pas les rêves. Miguel A. Semàn, ce bel optimiste, nous l’assure : « Les livres t’attendent, t’attendent, t’attendent, avec une patience infinie. »
Martine Laval
Le Musée des rêves, de Miguel A. Semàn, traduit de l’espagnol (Argentine) par Nelly Guicherd, La Dernière Goutte, 361 p., 20 €
Zoom Rêve général !
novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188
| par
Martine Laval
Pour sauver le monde – et son pays –, l’écrivain argentin redonne vie à l’imaginaire et le pouvoir aux livres.
Un livre
Rêve général !
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°188
, novembre 2017.