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Domaine étranger Le combat de Canetti

mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191 | par Thierry Guinhut

Quand l’auteur de Masse et Puissance se fait le juge intransigeant de la mort.

Le Livre contre la mort

Comment est-ce possible ? Des inédits d’importance celés depuis 1994, l’année de la mort du grand Européen Elias Canetti… Probablement s’agissait-il d’un vaste essai en projet, un « work in progress » sans cesse abandonné, repris de loin en loin, remis sur le métier sans que ces notes se coagulent en un réel livre. Même si quelques dizaines de pages furent incluses dans Le Territoire de l’homme. Le Livre contre la mort n’a pas été le talisman qui pouvait protéger l’essayiste de redevenir poussière ; mais il reste pour ses lecteurs provisoirement vivants une confession intime, un vade-mecum, un philosophique memento mori.
Parmi les nombreux projets de Canetti, prix Nobel de littérature 1981, flottait une « Comédie humaine des fous », qui devait intégrer un roman qui ne vit jamais le jour. Considérons donc Le Livre contre la mort comme un chantier qui ne trouva jamais son élan narratif, malgré des bribes de récits enchâssées dans un continuum de notes, de citations, d’aphorismes, échelonnées de 1942 à 1994. Car ressentie par tous, infligée à autrui, parfois jusqu’au meurtre de masse, « il semble que la connaissance de la mort soit l’événement le plus lourd de conséquences de l’histoire humaine ».
Faut-il lire in extenso ce volume, ou l’économiser pour avoir le plaisir, peu morbide au demeurant, de grappiller parmi le conte de celui qui donne « ses propres années », et parmi les miettes de pensée : « pouvoir encore mourir lorsqu’il devient insupportable de vivre » ? Peu à peu émergent des lignes de force : la mort humaine côtoie l’animale, la mémoire des disparus est dépassée par l’Histoire mondiale, l’anecdote est transcendée par le mythe. Il met en scène les sympathisants de la Faucheuse comme ceux qui l’ont en horreur. La tendresse le dispute à l’ironie lorsqu’il brocarde « Quelqu’un qui craint les fleurs parce qu’elles se fanent », où à l’humour fantaisiste : « Elle s’est pendue haut et court à ses faux cils ». Parfois ce sont des pages de journal conjuguant introspection et confession, jusqu’à la révolte métaphysique : « devenir immortel. Dieu qui n’existe pas m’en soit témoin, je n’ai rien voulu de tel : je ne suis ni amant ni Christ ni artiste, mais je n’admets pas la mort, et c’est tout. » La colère, la mélancolie n’ont pas ici pour ennemi la satire au sens des Caractères de La Bruyère, ni les facéties douces-amères : « Que deviendront, s’il vient à mourir, les pièges à souris dans son appartement ? »
Ce grand lecteur confie avoir fait des « orgies de livres  », et les achetait alors qu’il ne les lirait probablement pas tous, en « une manière de défier la mort ». L’obsession du bilan de ses propres œuvres s’affirme au travers de « deux desseins » : « l’un, le moins important, à savoir la connaissance de la masse, avait été poursuivi avec un certain succès, l’autre, de loin le plus ambitieux, à savoir la récusation de la mort, s’était soldé par un terrible échec ». Son roman Auto-da-fé et son essai Masse et Puissance sont en effet des sommets de l’analyse du totalitarisme populaire. S’il n’a pas fait du présent volume un essai construit, achevé, il n’est pas sûr qu’il faille le déplorer. Le plaisir venu de la finesse de l’humour et de la profondeur de la pensée, sans hauteur orgueilleuse, est amplement suffisant. La prose est variée dans ses motifs et ses registres, le crayon (car il taillait sa collection de crayons) toujours vif et piquant.
Il y a une cohérence dans le parcours d’Elias Canetti. Le premier volume de son autobiographie viennoise s’appelait La Langue sauvée  ; en quelque sorte sa vie est sauvée par le livre, car l’œuvre d’art, en l’absence de transcendance divine, seule dépasse la mort. En effet, disait Proust, « La vraie vie c’est la littérature ».

Thierry Guinhut

Le Livre contre la mort, d’Elias Canetti
Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Albin Michel, 504 pages, 25

Le combat de Canetti Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°191 , mars 2018.
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