Pelotes, Averses, Miroirs est un superbe ouvrage. En tant qu’objet d’abord, les aquarelles et dessins de la plasticienne Patricia Cartereau y sont vifs et lumineux, les poèmes d’Albane Gellé, un art de l’ellipse et du délicat qui jamais n’appuie malgré « tout ce qui tombe » et notre soumission à la loi universelle de la gravitation. En tant qu’expérience artistique, le livre élabore les conditions d’un véritable dialogue « une opération commune dont aucun(e) n’est le créateur. Il y a là un être à deux » (Merleau-Ponty). Le livre est, en fait, une correspondance : elle s’inscrit dans le temps ; on le perçoit dans les envois et les retours qui portent en eux tout ce qui a précédé. Chaque femme, avec son langage propre et son esthétique, s’engage dans l’aventure épistolière. Les premiers pas y sont comme une invite : soit une aquarelle, deux bras tendus vers le ciel, l’amorce d’un bestiaire, déjà, qui n’aura de cesse de se déplier, biche ou faon, tête en bas, oiseau, ailes déployées… Un espace à la géométrie suffisamment mouvante pour qu’immédiatement, l’autre trouve à s’y loger et en saisisse la balle au bond « (de toute façon j’attraperai ce que tu lances, tu reviendras) » répond la poète à cette première aquarelle.
Dans tout l’ouvrage, le végétal s’étend comme une frêle dentelle (lichen, fougère) ou dessine les verticales franches d’une forêt. L’immobilité de cette flore odorante n’est, comme par effraction, perturbée que par des êtres dont la température moyenne du corps est de 37 degrés Celsius ! Bêtes sauvages surprises dans la beauté intacte de leur espace et/ou hommes de passage, métonymiquement figurés par un pied ou une main, traversés du désir impétueux de « trouver/ des gestes d’antilope, des sabots un peu sauvages,/ sentir comment la terre/ dessous respire ».
On se laisse attraper par le magnétisme du songe instauré par les dessins et poèmes : « Dehors me rentre dans la peau,/ j’essaie de fabriquer des fils/ en regardant les araignées. » Dans la peau et non pas par la peau ? Tout est là, dans cette effraction d’un dehors qui, bien que substrat nécessaire à la création, est aussi ce contre quoi il faut résister. Ce qu’ailleurs, la poète interrogeait déjà : « faut-il céder au désarroi partir chercher secours dehors au risque de tomber debout » (Si je suis de ce monde, Cheyne, 2012).
« dans les crânes, dans le temps/ nous enjambons, nous sautons/ nous prenons de l’élan/ nous lançons des cailloux/ dans des cases, dans les ciels/ de nos marelles. » Sur le fil du partage, l’ouvrage déploie sa musique particulière, celle d’une comptine dont le titre en est, peut-être, l’écho. Pelotes, Averses, Miroirs est un jeu étrangement proche du shifoumi invitant chacun à mimer avec ses mains soit une feuille, un ciseau, un caillou. Peu importe qu’ici l’enjeu ne consiste ni à gagner ni à perdre, l’essentiel étant de s’amuser de ce que le corps fait au langage, un faire qui engage et rappelle, au passage, que le verbe s’entretenir, c’est se tenir ensemble dans un état d’éveil qui nous fait, nous défait.
Christine Plantec
Pelotes, Averses, Miroirs, de Patricia Cartereau et Albane Gellé
Lecture de Ludovic Degroote
L’Atelier contemporain, 168 pages, 25 €
Poésie La pesanteur et la grâce
avril 2018 | Le Matricule des Anges n°192
| par
Christine Plantec
Au début, il y a un dessin de Patricia Cartereau auquel Albane Gellé répond en poème et ainsi de suite, c’est-à-dire 37 fois chacune.
Un livre
La pesanteur et la grâce
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°192
, avril 2018.