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Poches Mécanique des ombres

juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194 | par Camille Decisier

L’énigmatique Adalbert von Chamisso relate l’histoire de l’homme qui vendit son ombre au diable. Entre mystification et mythification.

Andersen se serait, dit-on, inspiré de L’Étrange Histoire de Peter Schlemihl pour écrire l’un de ses contes, « L’Ombre ». C’est l’une des nombreuses postérités de cette œuvre fascinante, publiée pour la première fois à Berlin en 1814, avec un tel retentissement que le nom du héros s’est substantivé en allemand, et même en argot juif américain : un schlemihl désigna longtemps, dans la langue courante, un homme à la fois empoté et malchanceux, pour lequel les choses finissent fatalement par tourner mal. Un perdant, en somme.
Chamisso prétend avoir connu Peter Schlemilh, le loser originel, en 1804 à Berlin. Un de ces êtres incolores dont on pressent que la vie ne sera qu’une succession d’infortunes, « gauche sans être maladroit, inerte sans être paresseux, (…) inoffensif mais sans égard pour les convenances », porteur d’un manuscrit autographe que Chamisso commet l’indiscrétion de faire imprimer. Schlemilh y raconte sa rencontre avec l’« homme en habit gris », un vieillard grêle qui tire de sa poche tout ce qu’on lui réclame, jusqu’à trois beaux chevaux noirs, sellés et bridés, sans que quiconque semble s’en étonner. Peter, lui, est partagé entre l’horreur et l’envie que lui inspire la toute-puissance du personnage ; lorsque ce dernier lui propose d’échanger son ombre contre la bourse inépuisable de Fortunatus, Schlemihl accepte avec enthousiasme cette promesse de richesse éternelle. Mais il comprend vite que l’opulence ne suffit pas à oblitérer le dégoût que suscite son anormalité. Car un homme sans ombre est un paria, l’ombre étant à la fois le marqueur de la puissance vitale et la première représentation ethnographique de l’âme. Schlemihl n’a d’autre choix que de se retirer du monde, préférant, comme Chamisso lui-même, la solitude du botaniste à la compagnie des hommes : « Toute la terre s’ouvrait devant mes yeux comme un jardin ; l’étude allait être le mouvement et la force de ma vie, dont la science devenait le but. »
Les premières occurrences littéraires de la notion de pacte avec le diable remontent au IXe siècle. Cette compromission lucrative et toujours délétère s’accompagne ici de la figure du Juif errant, apatride pris au piège de la « schlemihlitude » universelle, la perspective de ne pas ressembler à l’autre étant pour nous tous un objet de désir en même temps qu’une grande source d’angoisse. L’écrivain et philosophe Pierre Péju, dans son brillant essai intitulé L’Ombre et la vitesse, s’attarde en postface sur le concept, positif et négatif, d’anomalie : « La poisse à répétition est une façon d’être obscurément désigné ; c’est une forme de chance permettant d’atteindre (…) un détachement par rapport au monde. » Il s’attaque également à la polysémie de l’ombre (Chamisso, lorsqu’on l’interrogeait sur le sens de ce mot, répondait plaisamment : « Songez au solide ! »), ainsi qu’à la définition du mythe, « réponse imaginaire à un problème fondamental surgi dans la culture et que la communauté ne sait pas encore poser clairement ».
Double approximatif de Peter Schlemihl, Chamisso trouva lui aussi le repos de l’âme dans l’étude botanique et les voyages lointains, qui authentifièrent sa vocation scientifique et lui vaudront, dans le milieu littéraire berlinois, le surnom de « l’homme qui a fait le tour du monde ». Auteur d’une grammaire hawaïenne, d’un traité de langue polynésienne, il reste célèbre pour avoir créé la figure du schlemihl (famille qui compterait, parmi ses membres les plus célèbres, Woody Allen et Saul Bellow) en un seul livre qui fut réédité trente-trois fois en France. On en retiendra en particulier cette mise en garde, qui clôt le récit de Peter Schlemihl : « Quant à toi, mon ami, si tu veux vivre parmi les hommes, apprends à révérer, d’abord l’ombre, ensuite l’argent. Mais si tu ne veux vivre que pour toi et ne satisfaire qu’à la noblesse de ton être tu n’as besoin d’aucun conseil. »

Camille Decisier

Peter Schlemihl, d’Adalbert von Chamisso
Corti, 170 pages, 8

Mécanique des ombres Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°194 , juin 2018.
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