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Domaine français Une vie à traduire

juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195 | par Anthony Dufraisse

Un livre posthume du traducteur Bernard Hoepffner interroge l’identité à travers un double troublant de l’auteur.

Portrait du traducteur en escroc

Volontiers provocateur, ce titre est-il le fait de l’éditeur ou le choix de Bernard Hoepffner lui-même ? Quoi qu’il en soit, on tient là le seul « texte personnel, révélateur », et de fait posthume, de ce traducteur français renommé disparu en mer à 71 ans, c’était en mai 2017, sur la côte du Pays de Galles. À ce manuscrit il a apparemment travaillé une douzaine d’années. Escroc, donc. Tout aussi bien aurait-on pu dire caméléon ou schizophrène, « peut-être la principale qualité d’un traducteur ou d’une traductrice ». Car un principe de schizophrénie innerve ce livre qui tout en s’apparentant à un genre de fable totale fait fond, on le sent en filigrane, sur un paradoxal désir d’autobiographie. Paradoxal ? Oui : il s’agit de se dire mais sans trop se dire, sans tout dire. En racontant l’histoire de l’insaisissable et irrésistible raisonneur Franck Ramsay, qui lui ressemble drôlement, Hoepffner à n’en pas douter tente de se raconter. Lui qui s’est fait un nom en traduisant notamment les grands de la littérature anglo-saxone, de Joyce à Twain en passant par Burton pour ne citer qu’eux, se dédouble dans une fiction qui revêt diverses formes – carnet, correspondance, articles, ébauches de récit, souvenirs, etc. – à partir d’un même fond : le trouble d’une personnalité, le mouvant d’une identité, celle de Hoepffner-Ramsay. Ce n’est évidemment pas un hasard si Borges, déroutante figure tutélaire, est cité en exergue et si l’écrivain argentin apparaît à un moment du livre quand il est question d’un double falsificateur.
Ce livre, il faut l’imaginer comme un labyrinthe où l’on va et vient, désorienté, déstabilisé souvent jusqu’au vertige : « Quand il parle et parfois aussi quand il écrit, il donne l’impression de tourner en rond, de ne pas savoir exactement où il va, de se lancer dans d’innombrables digressions qui n’ont, semble-t-il, que peu de rapport avec ce qui pourrait ressembler à une ligne directrice ». De fait, ce texte fait figure de récit à tiroirs et à clefs, où tout nous est à la fois offert et soustrait. Ce que l’on nous donne pour acquis à telle page ne l’est plus à la suivante.
C’est aussi, bien sûr, un livre de réflexion sur « l’acte de traduire », radiographie d’une expérience à nulle autre pareille. Miroir, ô mon beau miroir, dis-moi qui est vraiment le traducteur : « Lui qui avait l’habitude de se pencher par-dessus l’épaule de ses Auteurs s’est penché par-dessus sa propre épaule pour réfléchir à ce qu’il fait pendant qu’il le fait, il ne se voit plus alors seulement comme un Traducteur mais comme un Traductologue ». D’une belle densité, cette cogitation souvent facétieuse montre le traducteur aux prises avec la complexité du texte mais capable d’en dégager l’esprit et/ou la lettre dans un jeu perpétuel d’immersion et de mise à distance, de rumination silencieuse et de tension. Ou comment Hoepffner fait voir, sentir, vibrer le « plaisir schizophrène » – on y revient – inhérent à cette activité, exercice de substitution d’une langue par/dans une autre. L’écriture spéculaire de ce livre et sa composition facettée répondaient sans doute à l’impérieuse nécessité pour Bernard Hoepffner d’arriver à une sorte d’épluchage psychique, un peu comme on pelle un oignon, couche après couche – lui parle plutôt de « strates juxtaposées ». Et s’il n’est pas sûr qu’on le connaisse mieux à travers ces 200 pages, du moins sait-on maintenant – mais pouvait-on en douter ? – que Hoepffner n’est pas un « traducteur parmi tant d’autres » contrairement à ce qu’il écrit en annexe, dans un abécédaire où la parenthèse romanesque paraît vouloir se fermer sur un retour à la réalité.
Ce livre-testament en mains, on voit bien qu’il a toute sa place dans la Bibliothèque, et sous son propre et seul nom cette fois. Et ce en attendant d’être traduit à son tour. Alors commencera, dans une autre langue, une nouvelle vie pour ce « (soi-disant) portrait ». Bernard Hoepffner passait sa vie à traduire ; ici il traduit sa vie passée, et demain, ailleurs, on le traduira. Et à chaque fois il ressuscitera.

Anthony Dufraisse

Portrait du traducteur en escroc, de Bernard Hoepffner
Tristram, 190 pages, 17

Une vie à traduire Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°195 , juillet 2018.
LMDA papier n°195
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